Un autre monde : cercle polaire

Même temps qu’hier, même chemin qu’hier…
Il n’y a pas grand choix de routes en Islande, et encore moins le choix du temps malheureusement.
Il faut juste attendre, suivant l’adage islandais : « si tu n’aimes pas le temps qu’il fait, attends 10 minutes », voire même comme Vivaldi jouer les quatre saisons en une journée…

Bonne route…


Et on passe le temps en roulant vers notre destination : l’extrême pointe de l’ile au Nord, vers l’océan glacial arctique, juste sous le cercle polaire arctique, le fameux « 66° nord ». Rien que l’évocation de ces trois noms font baisser la température : +2°C au panneau à la sortie de Myvatn (oui, il y a bien un « + ») et nous sommes bien toujours en été…

Reykjalid, la bourgade locale

Route le long du lac, par Reykjalid, la bourgade locale et son animation, puis Namaskard avec son usine sulfurée, et la RN1 qui file droit vers l’est.
On a décidé de descendre par une rive de la Jökulsa a Fjöllum, traduit par « la rivière glaciaire des montagnes », qui est issue du glacier Vatnajökull au sud pour se jeter dans l’océan, au nord.
La route traverse des laves craquelées couvertes de mousses avec en arrière fond des montagnes embrumées, comme les nains du « Hobbit » :

Au-delà des montagnes embrumées
Non loin des sombres cavernes du passé
Dans l’aube bleutée
Il faut aller
En quête de l’or
Pâle et enchanté

Sauf que nous, nous sommes plutôt en quête de cascades !
Un volcan conique presque parfait, le mont Burfell, se profile au loin et se dresse hors de la morne plaine avec ses craquelures de gâteaux trop cuits.

“Gâteaux” volcaniques

Par endroits, d’antiques cairns tracent l’ancien chemin pour ceux qui traversaient le désert, comme le long de la piste Kjöllur, que nous avons parcourue il y a…quatre jours !
La route est quasiment droite, sans obstacles majeurs.

D’antiques cairns tracent l’ancien chemin

Après avoir obliqué sur la rive gauche de la Jökulsa en direction d’Asbyrgi, le paysage se change rapidement en un désert caillouteux, où de gigantesques coupoles semblent sortir de terre par endroits.
Toujours un désert minéral à perte de vue, qu’on parcourt sous la grisaille et la pluie, les moindres reliefs prennent une allure fantomatique dans la brume sous la bruine…

Dettifoss : la cascade de tous les superlatifs

Une vingtaine de kilomètres après le carrefour de la RN1, se trouve le parking pour la cascade de Dettifoss, que nous avons déjà visitée lors de notre précédent voyage. Mais vu ses caractéristiques, c’est un incontournable islandais, d’autant plus que nous allons la voir sous un autre angle, depuis la rive opposée où nous l’avions vue la première fois.
Hélas il pleut finement sans arrêt sur le chemin d’accès aux chutes mais on les situe de loin en raison du nuage de vapeur d’eau qu’elles produisent. Encore une montée et on découvre les chutes de Dettifoss sous la pluie, tout est détrempé… Elles ne semblent pourtant pas manquer d’eau !

La chute de Dettifoss

Quelques tentatives de photo en pose longue qui tombent…à l’eau, les filtres sont mouillés, l’appareil aussi…La vue depuis cette rive ne rend pas justice à cette chute d’eau spectaculaire, haute de 44m avec un débit de 200 m3/s considérée comme la plus puissante d’Europe ! Elle charrierait 500 000 tonnes d’alluvions par an…
Si vous avez vu le début du film Prometheus de Ridley Scott, on peut voir la chute d’eau de Dettifoss dans la première scène du film lorsqu’un vaisseau extraterrestre arrive sur Terre…je ne vous en dis pas plus !

La cascade la plus puissante d’Europe

Une tentative pour se rapprocher des chutes de Selfoss en amont de Dettifoss, à quelques centaines de mètres, mais l’accès est aléatoire et pas très bien aménagé avec des ruisselets qui courent, et des bras d’eau à franchir.

Chutes de Selfoss , en amont.

Un coup d’œil sur le lit de la Jökulsa taillé entre des parois d’orgues basaltiques et comme le temps ne s’améliore pas, repli sur le Land Rover.
Une fois de retour au 4×4 la première priorité est de se sécher et de se changer autant que possible ! Tout est détrempé et dégouline : K-way, pantalons, sac à dos et matériel.
Pause, le temps de récupérer et de se sécher, puis direction : plein Nord le long du fleuve dans son canyon !
On zappe sans regrets la chute de Hafragilfoss plus bas en aval, le site prometteur de Hljodaklettar et sa falaise de l’écho, Raudholar et sa paroi rouge.
C’est pourtant un site où a eu lieu un fait géologique rare : l’éruption d’un volcan sous la rivière, ce qui a provoqué une explosion gigantesque ! Il faudra revenir…

Atlantique Nord : dernière limite

A présent la route n’est plus asphaltée, seul l’accès vers Dettifoss l’est pour les touristes…et c’est maintenant un parcours chaotique sur la piste ravinée et détrempée.

Route défoncée vers le nord

Au fur et à mesure qu’on remonte vers le nord, le mauvais temps semble relativement se calmer ; on franchit le fleuve vers Asbyrgi pour continuer plein Nord sur la route 85.
Ici, une piscine municipale en pleine nature : on a dû exploiter une source chaude…

A voir le fleuve qui paresse à présent dans son estuaire ensablé, on a du mal à croire que c’est le même qu’à Dettifoss ? Puis on commence à longer l’Oxafjördur, fjord de l’océan Atlantique nord, par une petite route droite entre plages et criques battues par les vagues d’un côté et de l’autre, les parois sombres de montagnes noyées dans la brume.

Montagnes noires embrumées

Heureusement, ici aussi les lupins mauves apportent un peu de couleur des deux côtés de la route entre vert et noir. Après le petit port de Kopasker, la quête reprend dans un paysage de désolation, comme si le dragon Smaug du Hobbit avait soufflé par ici : tout est noir, caillouteux et aride, à peine quelques lambeaux de verdure.

Enfin s’annonce discrètement par un petit panneau le carrefour vers la pointe de Raudinapur, et on laisse la route 870 pour un chemin en direction de la ferme de Nupskatla, c’est ce qu’on a lu sur un blog d’ornithologiste pour s’y rendre.

Raudinapur

Avec le plat pays…on s’y croirait avec la mer du nord – de l’Islande – sauf qu’ici pas de dunes pour arrêter les vagues, mais des myriades d’oiseaux qui y ont élu domicile. Il faut franchir et refermer une barrière qui avertit de ne pas déranger les oiseaux ni descendre de voiture jusqu’à la ferme, car c’est une réserve ornithologique.

Lorsque la route se termine près de la ferme de Nupstkatla, elle est constellée d’oiseaux blancs qui doivent se réchauffer au contact du peu de chaleur accumulée par l’asphalte. A notre approche au ralenti, l’ensemble s’envole juste devant le pare-brise, effet hitchcockien garanti !

Effet hitchcockien garanti !

La ferme et ses dépendances sont isolées comme seules au monde, rien à des dizaines de kilomètres à la ronde. On laisse la voiture près des panneaux d’information, signe le livre d’or, à l’abri mais humide – qui s’en serait douté ? – avec un petit mot et on va enfin voir l’atlantique nord de près.

Accueillis par les oiseaux qui cerclent au-dessus de nous, intrus dans leur domaine, piquent et passent au-dessus de la voiture en rase motte puis s’en désintéressent.

Nuées de sternes

Ce sont principalement des sternes arctiques à la tête noire et queue double, il y aussi des goélands et d’autres. Le panneau recense aussi des mouettes, fous de Bassan, des macareux, des guillemots, des fulmars. La plupart migrent et abandonnent le site en hiver.

Sterne arctique en vol

La plage de rochers et galets, battue par les vagues, s’incurve jusqu’au volcan rouge de Raudinapur, ses 73 m dominent deux piliers qui s’avancent en mer, autrefois reliés une arche, mais qui s’est écroulée dans les années 1960.
Ils sont constellés d’oiseaux, on les distingue de loin en une multitude de points blancs mouchetant le roc noir.

On reste sur la plage sans aller jusqu’au cratère : des tronc d’arbres sont rassemblés en tas, polis par les vagues et durcis par le sel, c’est du bois flotté qui avait de la valeur autrefois en Islande car il n’y avait plus de forêts.

Récolte de bois flotté

D’un gris acier, il provient de Sibérie ou du nord de l’Europe porté par les courants marins jusqu’ici, comme autrefois arrivaient parfois des ours polaires…
Les galets sont de toutes les couleurs du gris au rouge et passant par le noir, ocre, lisses, troués veinés, sans cesse rebattus par les vagues en s’entrechoquant.

L’Atlantique nord : la plage de Raudinapur

On imagine la force des tempêtes quand on aura vu des troncs de bois flotté projetés de l’autre côté de la route qui longe l’océan à plusieurs dizaines de mètres de la rive !

Cercle polaire : 66° nord

Nous sommes ici à deux pas du cercle polaire arctique, le fameux 66° nord ; il est là, presque tangible, à quelques encablures en mer, on le sent…
Il traverse d’ailleurs la petite île habitée de Grimsey qu’on peut rejoindre en bateau et s’y faire remettre un diplôme de « passage de la ligne ! ».

Le cercle polaire ou 66° nord n’est vraiment pas très loin : il passe par l’île de Grimsey, où se situe le pointeur en forme de main…

Adieu aux oiseaux posés sur l’asphalte, retour par la petite route étroite accompagné par les oiseaux avec le même cérémonial : passage de barrière soigneusement refermée, qu’on retrouvera tout au long de notre périple islandais. Paysage de lac gris acier, chemin qui ondule entre lande et désert sombre de cendres et cailloux.

Descente finale cap au sud vers Grimstadir, notre gîte du jour. Halte le long du fjord où un pilier de lave s’élève en mer avec une arche trouée, l’endroit est venté, la plage colonisée par les oiseaux et des canards barbotent au bord, pas frileux !
La route est bordée de lupins mauves en fleur, qui s’étendent parfois sur des centaines hectares jusqu’à la plage du fjord, étouffant toute autre végétation à part les angéliques, sous le ciel de plomb.

Route bordée de lupins
Envahissants lupins !

Il ne pleut plus depuis notre arrivée sur la péninsule et on entrevoit un bout de ciel, un coup de soleil fugace illumine le fjord pour quelques minutes, une grande baie où les rouleaux se succèdent par vagues, tel est le paysage de l’aller qui se déroule à l’envers.

Soleil sur le fjord

Nous redescendons par l’autre rive de la « rivière glaciaire des montagnes », la Jökulsa a Fjöllum, par la route 864.  Autant elle nous avait laissé de bons souvenirs sous le soleil et elle était roulable lors de notre précédent périple, autant elle est à présent défoncée, truffée de nids de poules, avec la pluie qui a repris et n’arrange rien !

Route vers Grimstadir

On nous apprendra qu’elle est délaissée maintenant au profit de la route prise à l’aller…Ça se voit !
Enfin arrivée à Grimstadir, comme dit notre roadbook, on ne peut pas le manquer, perdu au milieu de nulle part !

Grimstadir, notre halte du jour

Domaine de Grimstadir, dans le nord-est de l’Islande : 300 km2, neuf habitants, installés au milieu d’un plateau enneigé huit mois par an, à 45 kilomètres du village le plus proche. Il y a cinq maisons à Grimstadir, dont deux sont habitées.
En 2011, tout change : ils apprennent qu’un milliardaire chinois veut acheter le domaine pour construire un hôtel de luxe avec terrain de golf, club d’équitation, piste d’atterrissage… Brouille entre les habitants, pour ou contre ?
En fait il s’agirait d’établir une future étape en Islande, lorsque le passage des bateaux sera facilité par la fonte des glaces due au réchauffement climatique !

Installation et repas le soir dans notre maison que nous partageons avec d’autres personnes, au calme, à l’écart de la RN1.
Comme d’habitude, des chambres, un salon commun avec livres, TV pour discuter, et une cuisine bien équipée avec une grande table pour manger.

Nous aussi sommes naufragés à Grimstadir !

Le soir tombe, une fois installés, nous préparons notre repas et mangeons en parlant de notre route du lendemain vers le centre de l’Islande, l’Askja.

Il est 20h…
Nous sommes le 19 juillet…
En plein centre désert de l’Islande…

…Dehors, il se met à neiger !

Bienvenue en Islande…