Un autre monde : neige sur Mars…en juillet.

Réveil au refuge :

Petit matin au refuge de Dreki, à Askja en plein centre de l’Islande, en cette fin juillet.
Pas dérangés par les voisins aux alentours et pour cause : pas âme qui vive à des dizaines de kilomètres à la ronde… quoique hier, un bus haut sur roues est arrivé et une dizaine de tentes vertes type igloo se sont montées près de notre bâtiment ; il semble que ce sont des élèves guides en stage. Ils ont couché à la dure, sur le sol et sous la tente !
Nous on profite de notre minuscule chambre à l’abri dans le refuge… et encore prévue pour 6 personnes, mais heureusement pour nous, les deux dernières ne se sont pas présentées !

Mini chambre au refuge du Drekki

Petit coup d’œil par le rideau qui occulte la fenêtre ; surprise : une fine pellicule blanche de neige recouvre le sol et le toit avoisinant ! Il a neigé dans la nuit à 700m d’altitude ici sur le Drekki en cette fin de juillet, et pour aller au bâtiment voisin des toilettes il faudrait passer dehors à pas loin de 0°C. Heureusement on en a découvert dans le bâtiment, et s’il n’y fait pas chaud, on y reste d’autant moins longtemps…
Le temps de déjeuner et de remballer nos affaires, le refuge s’est complètement vidé ; le poêle ronronne avec sa marmite d’eau chaude dessus.

La salle commune du refuge.

Pendant le déjeuner, un garde du parc est venu parler avec nous et demander où nous allions, il nous a conseillé pour aller voir la gorge de Drekagil et surtout il nous a informé qu’un gué vers l’Herdubreid était très haut ; comme on comptait passer là pour le retour, il nous conseille d’aller nous rendre compte sur place, on peut randonner et voir par nous-mêmes si c’est passable.

On se prépare à affronter le froid et on commence par charger nos bagages dans la Land Rover, puis direction vers la gorge de Drekagil « la gorge du dragon » juste derrière le chalet, d’où s’échappe un petit torrent qui passe derrière les bâtiments du refuge.

Drekagill, la gorge du dragon.

Dans la gorge du dragon :

Le sentier part sur la droite avec la canalisation de prise d’eau pour le chalet, et remonte le long de la gorge aux parois de lave noire parsemé au fond de pierre ponce jaune, et de neige sur les dessus…
Est-ce utile de préciser que l’eau est glacée ?

Le torrent qui alimente le refuge.

Des formes fantastiques de lave sur les dessus ont dû faire fantasmer les premiers explorateurs pour lui attribuer ce nom de « gorge du dragon ».

Partout des laves noires déchiquetées, quelques fois comme des gargouilles, on monte et descend au gré des rochers sur le bord, un passage dans un névé de neige, puis la cascade apparait au fond de la gorge.

Elle tombe en hauteur dans un bassin au milieu de la neige et des rochers avec quelques traces de mousse verte. Des variations de couleur de la lave entre noir, gris et rouge enlèvent un peu de sévérité à l’endroit.

Au fond de la gorge : la cascade.

Retour vers le refuge toujours sous les formations de laves : tours, trouées, pitons qu’on n’a pas vus à l’aller. Cela donne vraiment l’impression de mottes projetées et solidifiées telles qu’elles.

Le torrent court au fond de la gorge, quelques fois sous d’épaisses plaques de neige, tantôt on le surplombe tantôt on passe juste à côté par le sentier qui nous ramène au refuge.

Tous les véhicules sont partis, il ne reste que notre Land Rover et celui des gardes du parc de Vatnajökull lorsqu’on embarque pour la prochaine halte : le refuge de Kverkfjöll, en bordure du glacier.

Retour au refuge.

Kverkfjöll « les montagnes de la gorge »

Depuis le refuge du Dreki, notre but est d’aller plus au sud vers le glacier du Vatnajökull ; ça nous semble bizarre d’aller au sud pour trouver un glacier mais c’est un des paradoxes de l’Islande, mais pas plus que la neige à 700m d’altitude ce matin de Juillet…
Nous tentons d’abord d’aller jusqu’ à L’Herdubreid, « la reine des montagnes » comme elle est surnommée, malgré le mauvais temps, mais nous avons décidé de ne pas tenter la chance avec un passage de gué risqué comme nous en avons discuté avec un des rangers du parc.

La route file au nord sur l’autre rive de la Jökulsa, parfois dans un tapis de ponces ocre au pied de monts noirs perdus dans les nuages, parfois entres champs de lave bombés, arides et sablonneux de cendres.

Et même sans personne à la ronde à des kilomètres, on fait des rencontres inattendues comme ce bus au passage d’un dos d’âne ; heureusement qu’on faisait une halte photo ! Mais tout se passe toujours bien sur les pistes en Islande : croisement, manœuvres, passages de gué, il y a toujours de la compréhension et de l’entraide.

Passage de bus…

Par endroits on vient flirter tantôt avec le pied de montagnes balafrées de ponces et de neige, ou le cours de la Jökulsa, calme ici par contraste avec son cours en aval.
Finalement on renonce à atteindre le refuge de l’Herdubreid : le plafond de nuages bas qui entoure le mont éponyme et de la neige sur ses flancs ne sont guère encourageants, on n’aurait pas vu grand-chose !

Plafond bas !

Descente plein sud vers le glacier, par la même route qu’hier, piste zigzaguant entre les montagnes tabulaires, décor ocre, gris toujours très minéral.

Piste dans le désert

Passage du pont sur la Jökulsa tumultueuse, puis à présent dans une plaine noire et sableuse aux formes adoucies. Quelques collines noires aux traces vertes de mousses semblent se teinter de rouge par endroits.

Le fleuve Jökulsa plus modeste qu”en aval…

La route continue immuable dans les sables parsemés de rocs éparpillés, curieusement, sur le sol il semble que les graviers et cailloux sont incrustés dans le sable pour former un revêtement style « granito » ; résultat de l’action des glaciers ou érosion ?

Granito islandais.

Panorama sur l’Oddarhaun : (cliquer sur l’image pour l’agrandir)

Subitement la route qui ondulait jusqu’à présent entre les rochers vient se heurter à ce qui semble être une muraille de plusieurs mètres de hauteur : une immense coulée de lave de couleur foncée qui se détache sur la grisaille des rochers ambiants.

une coulée de lave barre la route ?

La route se fraye un passage à grands coups de lacets, montagnes russes pour un passage optimum entre les monticules de laves sombres et déchiquetés dans cet environnement dantesque.

Peu de végétation dans ce désert.

La route continue « au-delà du Mur » comme dans Game of Thrones, sauf qu’il ne s’agit pas d’un mur de glace – ou pas encore – mais de laves ; et sans sauvageons… Quant aux spectres, la mythologie islandaise s’en charge, les silhouettes fantasmagoriques du paysage n’y sont pas pour rien !

Paysage aux silhouettes fantasmagoriques.

La piste passe par des vallées lugubres où l’on penserait être les premiers explorateurs, si ce n’étaient les autres traces de pneus qui marquent le sol. Au loin, des montagnes fantomatiques émergent de la brume, plan après plan.

Un carrefour, des panneaux : Kverkfjöll 17 km ; décidément ça se mérite et on n’y vient par hasard ou sur un coup de tête…

Route vers Kverkfjöll .

(Land) Rover sur Mars :

Le spectacle de la route vaut à lui seul le déplacement : nous roulons à présent sur une piste rouge carmin, faite de scories rouges entre les rochers de lave noire avec un dégradé de monts gris enneigés se perdant dans la brume en arrière fond. Spectacle garanti !

Piste de scories rouges.
En rouge et blanc…

Un dôme de scories présente lui aussi des variations de teinte dans les rouges, il est peut-être à l’origine de ces scories rouges, une tache rouge vers le sommet et des rayons qui s’en éloignent d’un côté.

Enfin la piste rouge brique surplombe une immense plaine étendue limitée par une barrière blanche à l’horizon : le glacier Vatnajökull.

Au fond : le glacier Vatnajökull.

Kverkfjöll

C’est en fait un massif volcanique sous-glaciaire, encore actif dû à la présence de magma à proximité sous la surface. Sa température provoque des rivières d’eau chaude sous la glace qui s’écoulent dans cette région en créant des grottes, qu’il ne faut pas explorer en été sauf à être accompagné par des rangers du camp, car il y a déjà eu des accidents mortels.
Un des plus hauts volcans culminant à 1860m s’y trouve dans une caldéra de plusieurs dizaines de kilomètres sous la glace.

La piste plonge et on la voit se dérouler jusqu’à deux baraquements : le refuge de Sigurðarskáli.

Le refuge de Sigurðarskáli.

A notre arrivée nous sommes le seul véhicule sur le vaste parking, le site se compose d’un bâtiment principal, d’un autre pour les toilettes –qu’on investit- et d’une zone de camping, le tout dans un peu de verdure qui s’accroche farouchement…

La petite maison sur la prairie.

Renseignement pris auprès de la ranger présente, il faut encore une vingtaine de minutes en voiture jusqu’au glacier et la vue n’est pas fameuse aujourd’hui. Et la température ambiante est de 4°C ! Après une courte halte photo on rebrousse chemin et on rembobine le film de l’aller à l’envers…
Piste rouge, collines veinées sous la pluie fine à présent, montagnes pyramidales solitaires émergeant de la rocaille dans la brume, telles des mésas du Colorado.

Le sol est grêlé des scories rouges sur le fond noir de cendres sablonneuses, qui disparaissent peu après pour laisser place à une grisaille uniforme jusqu’au mur de lave qu’on contourne à l’envers.

Traversée à travers des cendres noires en slalomant car la piste évite les plus gros blocs de lave difforme, comme des icebergs pétrifiés dans une mer de sable. La piste trace son chemin dans des paysages époustouflants tantôt colorés à outrance par les scories rouges…

Paysage tantôt martien…

…tantôt à travers des déclinaisons de gris et noir, pas besoin de « pellicule » couleur, la piste ondule entre des monticules lunaires et des montagnes fantomatiques qui émergent de la brume.

Paysage tantôt lunaire….

On retrouve la piste F910 de l’aller à proximité du pont sur la Jökulsa, puis on remonte vers le nord pour rejoindre la civilisation avec la RN1.

Un autre type paysage à présent, des laves arrondies, cordées et non plus déchiquetées, dans un cadre de pierre ponce ocre, on avait presque perdu l’habitude de la couleur.

Pont sur les rivières, bouquets d’orgues basaltiques on retrouve tout sous un autre angle de vue et un autre éclairage. Les gués ne sont plus qu’une formalité depuis le brevet « passe-gué ».

Passage de gué : facile !

Le temps s’est levé est la visibilité s’agrandit, on entrevoit même des « doubles » montagnes solitaires, c’est dire !

Un peu de circulation, nous n’avons quasiment croisé personne sur la piste depuis le refuge de Kverkfjöll, un 4×4, un bus, avec les presque rituels passage de gué qui ponctuent la remontée.

C’est au travers d’espaces infinis et désertiques de cette étendue sauvage, ponctués de pierres et de rocher qu’on remonte quasiment en droite ligne vers le nord pour rejoindre notre circuit.

En ligne droite !

Retour à la civilisation sur la RN1 et aux couleurs, qui passe par des monts chatoyants et couverts de verdure, qui donnent un effet pastel au paysage. On en avait presque perdu l’habitude !

Le pont suspendu sur la Jökulsa se présente, au passage le fleuve a forci et gagné du volume avec ses affluents et les récentes pluies…et neige.

Le cratère de Hrossaborg

Arrivée au cratère de Hrossaborg.

Prochaine halte : le cratère de Hrossaborg, ou « château des chevaux », car on y rassemblait auparavant les chevaux à l’automne. C’est un immense amphithéâtre quasi circulaire, né d’une explosion il y a 10 000 ans entre une montée de magma et le fleuve tout proche. Cratère de scories et téphras pratiquement circulaire, de 500m de diamètre il impressionne par ses dimensions et sa régularité et par le fait qu’on peut y pénétrer !

Panorama dans le cratère Hossaborg
(cliquer sur l’image ci-dessous)

Panorama dans le cratère Hossaborg (cliquer sur l’image)

C’est en effet un cratère égueulé mais qui a été comblé par les débordements de l’omniprésente Jökulsa et qui a servi de lieu de tournage au film Oblivion, avec Tom Cruise (l’endroit est censé être un ancien stade de football américain détruit par des extra-terrestres, où il répare un drone…), un très bon film de SF pour moi ! Et ce qui ne gâte rien, avec une très belle musique du groupe français M83 .
( A écouter ici : https://www.youtube.com/watch?v=05GPiKPylHY)

Regardez cet extrait d’Oblivion tourné dans le cratère jusqu’à 3:30 :
https://www.youtube.com/watch?v=B39L_tu0PjE
Ça ne vous rappelle rien ?

L’ampleur et la solitude du lieu impressionnent (comme dans le film d’ailleurs), d’autant plus que nous sommes seuls ; pas même un chien abandonné comme dans le film…le cratère est à un jet de pierre de la RN1, mais il est apparemment peu connu.

Par contre, il y a toujours du monde plus loin à Namaskard, sur le site de Namafjall pour admirer ses couleurs cristalisées, ses vasques de boue bouillonnante et ses fumerolles perpétuelles . La vue sur le lac Myvatn se dévoile d’un côté et « l’usine qui pue » – comme on l’a surnommée- et son lac azuréen de l’autre.

Couleurs et odeurs…

Demain, une grosse étape nous attend, et même LA grosse étape : la piste Sprengisandur ou F26 qui relie le nord de l’Islande depuis Godafoss, jusqu’au sud à Hrauneyjar près du Landmannalaugar, en passant entre deux glaciers sur 250km. Il est indispensable de refaire le plein, et de la voiture et de vivres pour plusieurs jours, car on ne trouvera rien pendant plus de 2 jours !

Les moutons c.. au milieu de la piste !

Toujours des moutons c.. au milieu de la piste ! Ils sont en liberté du printemps jusqu’à l’automne, où a lieu le rassemblement pour les trier par propriétaire, dans des grands enclos ronds qu’on rencontre souvent sur la côte sud de l’île.
Au fait pourquoi restent-ils au milieu de la piste alors qu’il ne manque pas de place ailleurs ? C’est en fait dû au sel répandu sur la neige en hiver qui s’accumule dans les creux et flaques d’eau, et dont les ovins sont friands, a-t-on appris plus tard…

Etape à Laugar :

Halte à la capitale locale, à la supérette bien fournie, et c’est rassurés qu’on va terminer notre périple du jour à Laugar près de Godafoss en passant devant des serres illuminées, chauffées par géothermie, qui produisent des légumes dont les islandais sont très fiers, et qu’ils exportent même. Et même des bananes !

Serres chauffées par géothermie.

Nous arrivons tard, mais la maitresse de maison accepte aimablement de nous cuisiner rapidement des truites au four, énormes et délicieuses, et une salade avec de la truite fumée par son grand-père, tendre comme du beurre ! Un repas et un accueil mémorable…

 Nous passons la soirée à parler avec les jeunes propriétaires, d’où nous venons, de l’Islande (saviez-vous qu’il y a à peu près 3 fois plus de moutons que d’islandais), de la météo actuelle (sujet universel…).
C’est le pire été depuis 1996 parait-il (on en avait comme un pressentiment…) de ce fait, des éleveurs ont dû aller dégager des moutons pris dans la neige jusqu’au cou.
Et on finit la soirée autour d’un whisky offert par son mari ; quelle réception ! Ça sera de loin notre meilleur B&B de tout le séjour…

Vue imprenable et reposante sur la région depuis les baies vitrées de la maison, au loin la RN1 et sa circulation (une voiture toutes les 10mn le soir…) pour un repos mérité dans une grande chambre de la maison. Demain petit déjeuner matinal demandé pour partir à 8h30 et affronter la piste Sprengisandurs, ses gués et ses surprises !