Après plusieurs heures de voyage, l’aéronef a traversé les couches supérieures de l’atmosphère et navigue à présent dans une bande nuageuse sans visibilité. Soudain des ilots inconnus émergent de l’océan, qui prend des couleurs dorées sous la pâle lumière de ce soleil qui ne se couche jamais tout à fait ici à cette époque.
Ilets aux contours torturés, déchiquetés et sombres, comme jetés au hasard, battus par les flots d’écume blanche sur les rochers noirs. Après avoir infléchi sa course, des grondements et des vibrations dans la carlingue indiquent que l’atterrissage est proche.
Une côte rocheuse, découpée et noire, se dessine en dessous : le sol est irrégulier, couvert de laves sombres grumeleuses formant une surface inégale sans trace de végétation si ce n’est des mousses aux couleurs de rouille.
Ca et là des jets de vapeurs fusent du sol, parfois domestiqués par des installations métalliques d’où jaillissent des conduites qui se perdent vers l’horizon.
Pas de traces de civilisation, seuls des grands lacs bleu azur bordés de blanc, incongrus dans ce décor désolé, se détachent sur l’immensité du paysage en dessous.
Un choc, des crissements, on stoppe enfin. Une aérogare minuscule en regard de celui qu’on vient de quitter, des inscriptions en une langue inconnue, nous débarquons sur un autre monde…
Une autre planète, un nouveau monde… ? Non.
Bienvenue en Islande !
La plus grande île volcanique au monde, avec le plus de volcans en activité, la plus grande zone désertique volcanique, bref l’île de tous les superlatifs que nous allons explorer, non pas en faisant le périple classique touristique de l’ île par la route n°1, mais en la traversant du sud au nord et inversement par les pistes, gués, refuges et glaciers !
En voiture !
Nous voici de retour en Islande pour la troisième fois, après un premier tour par la côte en été, puis avoir arpenté la côté Sud en hiver sous la neige, nous allons cette fois l’explorer en profondeur en traversant le pays au travers des déserts.
Le lendemain, après avoir récupéré du voyage à proximité de l’aéroport, nous prenons en charge notre véhicule d’exploration : un 4×4 Land Rover Defender quasi neuf, condition indispensable en Islande pour s’aventurer sur les pistes de l’intérieur du pays.
En effet si les routes sont ouvertes à tous les véhicules, les pistes elles, sont interdites aux véhicules classiques car trop dangereuses, non goudronnées et nécessitant parfois des passages de gués. Si vous le faites avec un véhicule de tourisme, c’est à vos risques et périls, sans assurance !
Déjà les magnifiques lupins bleus éclairent un peu le paysage austère de laves, fleurs introduites par un explorateur il y a des dizaines d’années et qui se sont si bien acclimatées qu’elles sont à présent considérées ici comme espèce envahissante !
Pas de visite cette fois de la capitale, Reykjavík, si ce n’est pour faire le plein de provisions, car nous n’allons pas être privés de désert pendant quelques jours, et pour l’achat aussi de cartes SIM pour les téléphones et internet.
En effet ici en Islande les réseaux téléphoniques sont très bons, même au milieu de nulle part car ils sont le support indispensable aux secours, voir même en cas d’éruption où tous les téléphones dans la zone sont avertis simultanément…
Notre route traverse une zone de laves couvertes de mousse à la couleur jaunâtre et à la texture spongieuse qui tend à donner un air extraterrestre au paysage qui s’étend à portée de vue.
Quand je parlais d’une autre planète…
Les couches de mousses poussant sur la lave ont tendance à adoucir leur relief tourmenté et les scories vomies par les volcans, formant comme une mer moutonnant sur les aspérités et reliefs du paysage.
Entre deux continents :
Le trajet que nous avons préparé passe par le grand site de Thinkvellir, près du lac Thingvallatn. Site à la fois géologique et historique, car c’est à cet endroit qu’on peut observer la formation originelle de l’Islande, île née à cheval sur la séparation entre les plaques tectoniques américaine et euro-asiatique. Mais aussi parce que ce lieu vit la création du premier parlement élu au monde, où se réunissaient les clans d’Islande pour choisir leurs représentants.
Un chemin descend entre les falaises distantes : l’une est en Amérique, l’autre en Europe, et elles s’éloignent de 2,5 cm par an, à la même vitesse que poussent vos ongles…
Cette faille traverse toute l’Islande en diagonale, du sud-ouest au nord-est, avec une ramification.
Plus loin une cascade jaillit du haut de la falaise, l’Oxarafoss, dont on dit que la rivière Oxara qui l’alimente fut détournée pour abreuver les réunions du parlement qui se tenait sur ce site.
Un flot impétueux dégringole de la falaise sombre pour s’écouler entre les blocs de roche basaltique et se jeter dans le lac en contrebas.
Le site de l’Almannagjá est bien aménagé avec des allées en bois et est très verdoyant, fleuri de boutons d’or et de pensées sauvages bleues, avec quelques arbres, rares en Islande.
Et au milieu coule une rivière…
Plus bas dans la plaine, un ensemble de failles résulte de l’écartement des plaques tectoniques, failles qui se sont remplies d’une eau très pure teintée de bleu provenant des glaciers à 40 km d’ici et filtrée par le sous-sol.
L’eau est tellement pure qu’on ne se rend pas compte de la profondeur qui peut atteindre plusieurs dizaines de mètres ! On peut même effectuer des plongées en scaphandre dans ce monde irréel et froid : près de 0°C. Si ça vous tente, vous pourrez toucher des mains en même temps l’Amérique et l’Europe, à vos scaphandres…
Dans ce décor, une petite église pimpante aux murs blancs bordés de vert et au toit gris se dresse là sous le ciel plombé tel un décor de cinéma, près de petites maisons accolées à la mode islandaise.
Dans le petit cimetière attenant on peut trouver des noms typiquement islandais : les noms de femmes se terminent par “Dottir” (fille de…) et d’hommes par “Son” (fils de…), ce qui complique pas mal l’état civil comme on n’est ici connu comme fille de ou fils de untel…
Au bord de la rivière, un champ de linaigrettes illumine le paysage de taches blanches, ce sont des fleurs de zone humide qui poussent dans les marais ou au bord des ruisseaux.
Atmosphère très clame, reposante et majestueuse qui émane de ce site à la fois grandiose et simple, juste posé là, à la limite de deux mondes, l’ancien et le nouveau, symbole de cette île à la fois jeune géologiquement malgré ses 20 millions d’années et qui voit encore tant de bouleversements.
A peu de distance de là, le second volet du « cercle d’or », qui regroupe trois sites incontournables d’Islande, c’est Geysir où la chaleur souterraine se manifeste en sources chaudes, vapeurs et un célèbre geyser éponyme…
Celui qui ne jaillit plus…
Geysir (celui qui jaillit en islandais) ne se manifeste plus depuis quelques années à la suite d’un tremblement de terre, et c’est Strokur (« la baratte ») qui a pris le relais. Toutes les 6-10 mn un jet de vapeur s’élève à une dizaine de mètres de hauteur depuis une vasque frémissante.
La surface ondule, gonfle, se rétracte puis enfle à nouveau pour exploser en un panache blanc, puis retombe pour remplir à nouveau la vasque et le puits pour un nouveau cycle.
Le spectacle impressionne par sa force, sa beauté et sa brièveté : à peine jailli, le jet va tutoyer les nuages puis se dissipe , et le spectacle est déjà fini, pour reprendre après une dizaine de minutes, s’il n’y a pas de « flops » quelquefois quand le geyser se manque.
Mais le spectacle est aussi au sol avec les multiples concrétions et ridules de calcite laissées par l’eau qui s’écoule depuis des millénaires.
Aux alentours d’autres manifestations hydrothermales sont visibles, comme des marmites bouillonnantes et jets de vapeur parmi une végétation rase de mousses et fleurs qui survivent dans ce milieu.
Retour au parking pour retrouver notre Defender rutilant, mais pas un monstre de confort : il y a de la place mais les sièges sont assez durs et très droits, on se trouve assis « à l’équerre » sans grande possibilité d’incliner les sièges, il faudra faire avec…
L’aventure commence ici…
La logique voudrait qu’on (re)visite le 3e site du cercle d’or, à savoir la cascade de Gullfoss, mais nous avons décidé de faire l’impasse pour avoir plus de temps vers notre première étape au cœur de l’Islande. Car c’est un peu l’inconnu : quelques semaines avant notre départ, à la suite de fortes pluies et du dégel, un pont a été emporté avant le camp où nous faisons étape et il faut franchir un gué !
Nous reprenons donc la route goudronnée vers le nord et l’inconnu car malgré nos précédents voyage,s nous n’avons jamais pénétré au cœur de l’Islande ni circulé sur des pistes ; donc en avant pour notre baptême de conduite 4×4…!
Nettement moins de trafic à présent qu’entre les sites du « Cercle d’or », la route asphaltée serpente quelque temps entre des prairies vertes après Gullfoss, puis la végétation se raréfie brusquement et on passe au décor d’un désert brun, aride et rocailleux en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.
Sans préavis ou presque, la route, pardon la piste 35 est elle aussi passée en mode désert : plus d’asphalte, c’est un revêtement de terre damée avec des gravillons qui nous précède. Au loin à l’horizon, se dresse la forme régulière conique et caractéristique de volcans.
Seule concession à la végétation, des touffes de lupins mauves par endroits, contrastent avec l’ocre du sol et les cailloux polis par l’érosion, avec quelques rares touffes d’herbes rases qui poussent sur le sol.
Une petite halte photo avec des cratères à l’horizon, on distingue la route qui se déroule en ondoyant au loin et s’enfonce vers les premières montagnes encore marquées de traces de neige en cette mi-juillet.
Cette piste 35, aussi nommée Kjalvegur, était déjà présente dans le livre qui décrit comment les nordiques vinrent s’installer en Islande ; elle est le plus court chemin entre le sud et le nord de l’île. Elle était préférée à la piste Sprengisandur car plus facile et plus sûre dans le passé, et a été balisée par des cairns pour les voyageurs (empilements de pierre réguliers de loin en loin) seulement à la fin du 19e siècle.
Après avoir flirté avec la rivière Hvita (“blanche” en islandais), celle-là même qui provoque en aval les superbes chutes de Gullfoss, la piste aborde alors les contreforts du mont Blaefell qui dépasse les 1000 m d’altitude. On sent un net rafraichissement au fur et à mesure qu’on s’élève aussi de plusieurs centaines de mètres en quelques kilomètres parcourus, jusqu’à un carrefour particulier où l’on stoppe.
Ici un immense tas de cailloux de plusieurs mètres de haut est dressé comme un immense cairn. La légende raconte qu’une paire de bottes y est enterrée tout en dessous, laissée par un des ouvriers qui ont tracé la route à l’origine, et les passants ont rajouté littéralement leur pierre à l’édifice !
Vue dégagée : droit devant, la piste continue en redescendant presque vertigineusement dans la plaine vers le lac Hvitarvatn (« lac blanc ») issu de la fonte du glacier Langjökull (« long glacier ») à l’ouest. Un bus bleu franchit le col sans presque ralentir et entame la descente de l’autre côté à toute allure.
Depuis le col, nous descendons la piste de quasiment 250m en 2 km soit plus de 10% de pente en ligne droite jusqu’à la rivière Hvita qui s’écoule du lac.
Bien que le pont soit à voie unique (panneau « Einbred Bru », pont à une voie) nous ne sommes pas les seuls : un troupeau de moutons traverse aussi la route pour aller sur les berges du lac où pousse un peu de verdure. Enfin un peu de vie et d’animation !
Comme d’habitude ils sont peureux et redescendent vite du bas-côté vers le lac ; le seul danger est si l’un d’eux change d’avis et fait demi-tour devant la voiture ! Mais en général il s’agit de brebis et de leurs petits pas encore indépendants qui la suivent aveuglément.
A présent la piste continue en terrain plat avec vue sur le lac tout en longueur, piste toujours brunâtre et parsemée de cailloux jusqu’à la taille d’un ballon, rarement plus gros. Le lac et glacier toujours à notre gauche, en arrière-plan le massif montagneux qui borde le Langjökull est veiné de névés de neige et couronnés de nuages qui masquent leurs sommets, du plus bel effet. Oui il y a de la neige…nous sommes en Juillet mais pas loin du cercle polaire arctique, et ce n’est que le début…
On the road again…
Toujours une piste damée -ou damnée ? – de cailloux, quelques fois avec de la « tôle ondulée », succession de creux et bosses, comme fabriquée par le passage de chenillettes ; assez pénible, il faut rouler à la bonne vitesse pour « survoler » et éviter les secousses ou à côté des ornières…
Toujours peu de circulation, dans un sens ou l’autre bien que cette voie ne soit plus classée piste en « F » mais peut-être moins spectaculaire que d’autres, et pourtant…
Un désert de roches rougeâtres, ne serait-ce le ciel et les nuages on pourrait se croire sur Mars, y croiser un rover d’exploration n’y serait pas incongru…
Au loin on aperçoit les masses impressionnantes des langues glaciaires du massif, avant-gardes imposantes qui s’avancent sur les terres ou viennent fondre dans le lac.
Enfin s’annonce le carrefour qui va nous amener au campement du premier soir, au refuge de Kerlingarfjöll, à l’écart de la piste 35 vers le site géothermique. C’est là qu’un pont a été emporté par les récentes crues dûes à la fonte de neiges…en Juillet !
Décidément je ne m’y fais pas, ayant quitté le midi de la France sous 35°C…
Un premier pont d’abord puis l’aérodrome de Kerlingarfjöll, enfin sa pancarte car en réalité c’est un bout de terrain à peu près plat, dégagé de ses cailloux et balisé ; un point, c’est tout, ne cherchez pas la tour de contrôle et la buvette !
La cascade de Gygjarfoss
Prochaine arrêt et c’est là que le pont fait défaut…la route a néanmoins été aménagée avec un gué où l’on trempe finalement à peine les roues et on stoppe quelques mètres plus loin.
La cascade est impressionnante même à l’ombre de cette fin d’après-midi, avec les monts de la chaîne du Kerlingarfjöll en arrière fond. Il y a quelques névés blancs qui parsèment les alentours ainsi que le bord de la rivière. La cascade se jette en tourbillonnant d’une dizaine de mètres de haut sur un front de 30 m environ. L’eau d’abord bleutée jaillit en jets blancs et tombe dans un bassin en écumant en un décor de laves sombres puis continue son cours dans un canyon encaissé.
La piste F347, car c’est en une « officiellement » depuis qu’on a quitté la 35, franchit deux petits ponts puis s‘élève sur une crête d’où l’on a une vue superbe : d’un côté une plaine où paresse la rivière de Gygjarfoss, de l’autre un aperçu sur le site du refuge de Kerlingarfjöll.
Un vrai décor de carte postale : une petite oasis verte autour du torrent dans ce désert de cailloux. Des prairies vertes logées dans une boucle de la rivière, un camping aux tentes bariolées, des chalets rouges aux toits verts accrochés aux pentes. Le tout encadré par les montagnes enneigées, quelques dégradés de couleur sur les flancs de collines et encore et toujours des plaques de neige qui ne semblent pas décidées à fondre !
Il y a même un micro-station électrique qui fournit l’électricité avec un petit barrage sur le torrent en contrebas !
Fin de l’étape, on se gare à côté d’une dizaine de véhicules puis on se rend à l’accueil auprès des gardiens du site. Déchaussage obligatoire comme dans la plupart des habitations islandaises, c’est compréhensible vue l’état extérieur du terrain.
Notre logement est au rez-de-chaussée d’un chalet pointu : l’entrée et des toilettes microscopiques, une petite chambre en bas et un minuscule coin cuisine, un couchage en mezzanine, eau froide et chaude, électricité limitée (il n’y a pas beaucoup de prises), voilà pour aujourd’hui.
Ça nous convient et on s’installe, prépare notre premier repas avec les provisions achetées ce matin à Reykjavik. Ensuite on planifie la rando du lendemain sur le site géothermique de Kerlingarfjöll, beaucoup plus intéressante que l’ascension prévue du mont Snaekholur dont la vue est compromise vu le plafond bas.
Repos dans la nuit -blanche- islandaise : ici le soleil ne se couche pas complètement derrière l’horizon en été et rebondit sur l’horizon…
Je remarque un livre laissé par d’autres voyageurs de T. Pratchett, un de mes auteurs préférés en littérature fantastique…
En édition islandaise ici : « Litbrigdi Galdranna », titre original « The Colour of Magic » prémonitoire pour le lendemain s’il en est…