Nous avons rendez vous tôt ce matin pour aller explorer l’intérieur des terres vers le Landmannalaugar : c’est une zone géothermique où de nombreuses randonnées sont possibles en été, dans un décor coloré digne de la palette d’un peintre fou : la nature.
On y trouve bien sûr aussi des sources chaudes, de la vapeur et émanations volcaniques.
Alors que cette région est accessible relativement facilement l’été par des pistes et gués mais obligatoirement en 4×4, l’hiver l’accès à région est complètement fermé par les neiges et la glace, les pistes n’ouvrant qu’en juin après la fonte des glaces et la période de crues et boues qui s’ensuit.
De fait c’est un guide qui va nous véhiculer et nous faire découvrir la région avec une super jeep. Pourquoi une super jeep ? Il faut un véhicule surélevé pour passer parfois dans prés de 1m de neige, traverser des gués ou monter des pentes vertigineuses, comme on le verra.
Le rendez vous est fixé le long de la route n°1 à une station service, au carrefour d’une piste s’enfonçant vers le nord. Nous y sommes à l’heure dite, au prix d’une préparation matinale effrénée, nous nous sommes équipés pour le froid comme en montagne, avec tenues de ski, gants et chaussures de marche ; même pas le temps pour préparer les casse-croutes , tout est en vrac. Nous garons la voiture sur le parking vide de la station, qui fait aussi bar, resto, magasin quelquefois bureau de poste ! Bref comme au Far West…
Le temps que notre guide arrive, un coup d’œil aux alentours : un panneau explicatif sur le volcan Hekla car nous sommes à proximité de ce volcan capricieux aux 20 éruptions durant le dernier millénaire.
Là-bas des chevaux islandais petits et au crin épais paissent à proximité, quelques fermes et un immense panneau routier à l’entrée de la piste qui jouxte le parking en direction du nord.
Un gros 4×4 rouge haut sur roues arrive à toute allure et se gare sur le parking, un gars barbu mince et jovial en descend, c’est notre guide il se nomme Stefnir. Le temps de faire connaissance et nous chargeons nos sacs a dos à l’arrière. On escalade les marchepieds avec plus ou moins de bonheur. Un peu de briefing avant le départ : Stefnir nous explique sur une carte le circuit que nous allons suivre vers le Landmannalaugar, en fonction de la météo et des conditions puis on quitte la route n°1 pour la route 26. Pour l’instant, c’est un route asphaltée, qui se glisse entre des prairies d’herbe jaune avec quelques hordes de chevaux ça et là .
Sur la droite un massif imposant émerge au loin, illuminé par le soleil levant à travers la brume matinale et les nuages, c’est l’Hekla, un des volcans les plus actifs d’Islande. Ses éruptions ont lieu quasiment tous les 10 ans, dit notre guide, la dernière aurait ainsi dû avoir eu lieu en 2010…elle est en retard en 2014 ! Donc les islandais, même s’ils ne sont pas pressés sont d’autant plus vigilants ! Néanmoins c’est un lieu de randonnées prisé, le sommet offre une vue imprenable avec des sites géothermiques en prime et bien sûr sous surveillance constante.
De place en place une maison isolée se dresse seule au milieu de la plaine vaguement ondulée, sans voisins à des kilomètres, comme abandonnée mais il y a ça et là de la lumière ou une voiture : des gens qui vivent ici, sans risque de promiscuité et sans peur de l’imposant voisin menaçant ! Quelques jolies maisons, parfois avec un enclos à chevaux, soignées et peintes de couleur vive comme souvent ici.
Le massif volcanique, couvert de neige, omniprésent, sort de la brume et s’illumine sous le soleil matinal au loin à droite dans la plaine. La route jalonnée de piquets jaunes tous les 50m, s’enfonce entre des collines parsemées à présent de neige et une étendue d’herbe rase et jaune.
La route se rapproche d’une butte montagneuse qui grossit à devenir une montagne d’autant plus imposante qu’elle se détache, isolée sur la plaine. Notre guide nous raconte que d’après la tradition islandaise, c’était le refuge de deux sœurs troll, l’une habitant ici et l’autre une montagne dans le sud, et qui rançonnaient les voyageurs, montant vers les hautes terres, ou descendant sur la côte.
Ici dans un décor plat d’herbe jaune et rase, avec des plaques de neige glacée, une vaste ferme aux réserves de fourrage imposantes : c’est un élevage de moutons, qui restent à la bergerie l’hiver, au contraire des chevaux qui eux pâturent toujours dehors, même sous la neige. A tel point nous dit le guide, que même si on leur construit un abri, ils préfèrent rester dehors, tout juste s’ils s’abritent derrière en cas de vent.
Soudain la route asphaltée se transforme sans préavis en piste damée couverte de gravillons, sans le traditionnel panneau “Malik Endbar” qui signale une fin de route normale ! Plaine morne, morne plaine où la piste se déroule à quasi l’infini, et où l’herbe cède la place a du sable et des scories.
Notre chauffeur sort notre 4×4 de la piste, sans grand mal car la limite est difficilement tangible avec le bas côté, pour nous emmener au bord du lit d’un fleuve asséché pour l’instant. Il nous apprend que malgré sa sècheresse, c’est le fleuve le plus long d’Islande, la rivière Thjorsa qui fait 230 km de long. Le lit jonché des pierres noires volcaniques doit bien faire une centaine de mètres de large et des brise lames sont construit au milieu du lit en cas de crue apparemment. Le sol est jonché de petites pierres, certaines grisâtres sont des pierres ponces issues d’éruptions du volcan voisin, l’Hekla, d’autres sont rougeâtres ; j’essaie d’en déloger quelques unes d’un coup de pied mais en vain ! Elles sont en fait soudées par le gel et il faudra plusieurs coups rageurs pour les déloger !
Le temps est assez beau et ensoleillé, la neige et la glace sont de plus en plus présents au bord de la piste qui reste dégagée, des herbes en émergent : il s’agit d’une sorte de céréale plantée pour fixer le sol sableux et les cendres volcaniques, pour éviter que les vents ne les poussent vers la bande côtière fertile.
La piste toujours rectiligne et déserte se couvre à présent de glace, alors qu’une ligne à haute tension court à côté : pas étonnant au long du fleuve se trouvent plusieurs centrales hydro-électriques qui alimentent le pays. Par endroits des champs de lave noire émergent de la neige immaculée, alors que le temps se couvre, le véhicule oscille un peu sur la piste verglacée, au grand plaisir de Laurence…
Une piste enneigée part sur la gauche vers le Landmannalaugar, mais ce n’est pas celle que nous allons emprunter car elle est fermée à cette époque. Un peu plus loin quelques préfabriqués se distinguent difficilement à distance puis un groupe de bâtiments à moitié ensevelis sous la neige telle une station polaire, c’est Hrauneyjar.
Construit à l’époque comme dépôt de carburant et matériaux pour les centrales environnantes, c’est aujourd’hui une station-service, magasin et hôtel, halte pratique pour les voyageurs vers les hautes terres ou redescendant vers la côte. Une première halte après la route depuis la côte, c’est appréciable, on l’appellera la station de la dernière chance comme au Far West quand on verra le panneau en repartant : prochaine station à 243 km !!!
Le paysage est à présent complètement blanc, noyé sous la neige, la route verglacée brille au soleil mais ça n’entame pas la sérénité de notre guide qui en a vu d’autres. Deux bâtiments trapus se profilent sur une crête à droite, notre guide indique qu’ils dépendent d’un barrage où nous allons passer, pourtant on n’aperçoit pas de lac ou de rivière si ce n’est cette crête sur la droite. En effet la route ne tarde pas a plonger vers un chenal encaissé, barré par la centrale de Vatnsfell. Une courte halte pour contempler le chenal glacé mais où s’ébattent une troupe de canards peu frileux ! La voiture gravit péniblement l’autre rampe dans 30-40cm de neige et c’est reparti sur la piste verglacée entre les immensités blanches de neige gelée !
La route de déroule interminablement dans la neige et les amas de lave volcanique qui émergent de temps à autre, mais le relief est plus vallonné, mais toujours aussi vide de maisons ou de voitures ; quand on disait que Hrauneyjar était le dernier refuge, ça n’était pas exagéré : il n’y a plus rien jusqu’à notre destination !
Nous passons prés de Sigôldustôd, les lignes à haute tension se profilent toujours de loin en loin, enfin un carrefour indique “Landmannalaugar 35” par la route 208 avec un symbole de refuge. En temps normal ça serait l’affaire d’une bonne demi heure, mais nous ne le savons pas encore : il nous faudra plus de deux heures pour y arriver !
La piste est complètement enneigée à présent, la super-jeep patine parfois malgré son équipement ; après une bonne montée, une immensité en partie gelé se dévoile à notre gauche, c’est le lac de retenue du barrage où nous sommes passé il y a un moment. Il s’étend à perte de vue, d’un bleu…glacial et la piste le longe un bon moment, une bonne partie est prise par la glace comme une mer arctique, sans icebergs.
Au loin se profilent quelques montagnes enneigées aux cimes noires déchiquetées, nous roulons toujours avec le lac en vue ; un dernier carrefour nous confirme la direction ‘Landmannalaugar 26″, nous avons parcouru seulement 9km depuis tout à l’heure…Une rencontre incongrue : deux motoneiges à côté de la piste font une ballade sous la ligne électrique. La piste blanche franchit un canyon encaissé sur un pont, comme coupé au couteau dans le massif volcanique , c’est un affluent alimentant le lac, aux eaux sombres et qu’on imagine glacées.
Puis on monte en lacets pour dominer l’étendue aux eaux d’un bleu électrique et à la surface gelée ; une halte où notre guide nous explique qu’il va dégonfler un peu les pneus pour améliorer la prise sur la neige, car à présent tout est sous la neige , les zones dégagées sont quasi inexistantes.
Au passage deux 4×4 rutilants et surélevés passent à côté de nous en sens inverse, la vue est splendide : sur des dizaines de kilomètres à la ronde le paysage est couvert de neige sans un signe de vie, c’est le désert blanc ; on se sent minuscule et désemparé dans ce désert immense de rocs noirs dans l’hiver blanc, sans repères. Difficile de trouver l’emplacement exact de la piste sinon par quelques graviers de lave rejeté par les passages et la navigation se fait au jugé en suivant les traces précédentes.
Au passage notre guide nous indique un massif aux cimes déchiquetées : c’est le “Mountain King” (montagne roi) nommé ainsi car le sommet ressemble à une couronne ; on le retrouvera souvent comme point de repère tout au long de notre périple.
Mais même dans ce désert on retrouve toujours les lignes électriques issues de la centrale hydro-électrique qui montent à l’infini vers le nord. Jusqu’à présent, c’est aussi le seul pays au monde doté d’une énergie à 100 % renouvelable ; celle-ci provient à 25% de la géothermie, et le reste des barrages hydroélectriques.
L’électricité est le pétrole blanc de l’Islande, elle a fait le pari écologique de se passer de pétrole d’ici une décennie et construit néanmoins des centrales gigantesques en inondant des vallées et réserves naturelles. Les usines traitant du minerai importé pour ré-exporter de l’aluminium sont elles écologiques ? Le débat fait rage en Islande…
Une paire de motoneiges repasse à proximité et nous longeons la ligne électrique alors que le temps se couvre rapidement. La montagne-roi est à présent proche et la plaine ressemble à une zone éruptive parsemée de morceaux de lave qui se détachent en noir sur le sol blanc de neige.
La couche de neige est assez conséquente et notre 4×4 commence à patiner ; nous stoppons pour encore dégonfler les pneus et j’en profite pour descendre de la voiture…dans 50cm de neige. Au redémarrage notre guide décide d’abandonner la piste pour couper au travers des montagnes et rejoindre une autre route au vu du temps changeant et de la route.
Nous coupons droit vers un passage entre les sommets en suivant des traces en direction d’un col. La pente est rude mais le 4×4 monte sans effort et arrive au petit col pour une halte dégonfle-pneus. Montées et descentes alternent dans la blancheur d’un paysage tourmenté, finalement une plaine immense se profile après une pente impressionnante.
Une dernière halte où notre guide descend, cette fois pour regonfler les pneus avec son compresseur dans le 4×4, comme la neige est tassée. Imperturbable en chandail alors que nous, nous sommes en tenue de ski, anorak, bonnet et gants, chaussures de rando…une autre habitude de vie !
Une alternance de plaines immenses enneigées cernées de montagnes, montées, descentes tel est notre trajet lorsqu’un panneau indicateur “Hnausapollur” émerge de la neige ; il y a probablement plus d’un mètre de neige. C’est un lac en été mais indiscernable sous la neige…En effet on repassera par là en été pour l’admirer, je confirme !
Enfin notre guide quitte la piste pour une montée raide et stoppe quelques centaines de mètres plus loin au bord d’une excavation immense. Nous descendons pour le contempler, l’endroit est venté, le sol gelé et notre guide nous explique qu’il s’agit d’un cratère explosif qui abrite un lac où l’on pèche l’été : difficile à croire. Au loin un autre cratère presque parfaitement rond se profile, le pourtour noir dessine un cercle quasi parfait. Quelques photos de ce panorama splendide bien que gris et on redescend pour poursuivre vers notre but.
Un dernier col et de l’autre côté un carrefour entre la F208 et la F225 nous indique la proximité du Landmannalaugar à 5km ! Attention : un panneau alertant du passage dangereux d’un gué émerge de la neige : aucun risque par ce temps…de même pour les virages et limitation de vitesse à 40km/h…
La trace passe par une zone volcanique tourmentée, faite de petits cratères et tas de blocs erratiques, de cratères comme des taupinières.
Enfin au détour d’une vallée notre guide nous pointe vers la droite le but final au fond de la vallée où l’on aperçoit des fumerolles : la vallée du Landmannalaugar.
Une rivière court hors de la vallée entre deux berges de neige, elle sert un temps de passage où se faufile le 4×4, puis traverse de l’autre côté et regagne l’autre rive. Finalement tels des navigateurs qui crieraient “Terre”, nous pourrions crier “Toits” car on a du mal à le croire, c’est les seules parties que l’on distingue au loin, au fond de la vallée barrée par les montagnes où serpentent les fumerolles !
Encore 2 minutes et le 4×4 stoppe enfin au but de notre odyssée blanche : le refuge du Landmannalaugar avec sa rivière fumante entre les rives blanches de neige.
Seul le toit du chalet émerge de la neige qui a été creusée pour dégager l’entrée ; lorsque nous reviendrons ici en été l’année suivante, nous découvrirons le même chalet qui doit bien faire 3m de haut, posé sur une terrasse avec 4 marches ! La hauteur de neige doit donc avoisiner les 3-4m !!!
Le guide nous emmène vers une vallée, Grenagil (“vallée verte”) faite de lave teintée de vert très curieuse, où coule vaillamment un petit ruisseau ; au passage il nous signale qu’on vient de passer au-dessus d’un abri à chevaux complétement invisible sous la couche de neige ! Là aussi la vallée est méconnaissable quand on l’aura parcourue en été.
Retour vers le refuge, et le guide nous abandonne -provisoirement – pour notre séance de bains chauds. En effet dans ces solitudes glacées enfouies sous la neige et ces monts volcaniques déchiquetés, entre les deux coule une rivière…chaude !
Des sources brulantes viennent se mêler à l’eau de la rivière glacée pour la réchauffer jusqu’à la faire fumer. Par contre l’aménagement est des plus sommaires, prévu pour l’été : un ponton en bois de 2m par 2m. point. Il faut donc quitter notre équipement grand froid pour se retrouver en maillot et ne pas trop tarder à entrer dans l’eau.
J’en ressortirai bien vite : trop chaude ! Incroyable…le reste de la famille en profite, on peut choisir sa température en fonction de l’endroit et du mélange des courants…
Rhabillage plus que rapide sur le ponton car l’air est frais en retournant au véhicule où nous attend le guide. Retour par le chemin de l’aller en franchissant le gué entre les rives enneigées, les panneaux routiers émergent à peine de la couche neigeuse et même si on a l’impression de rouler au jugé entre montagnes et défilés noirs, le guide connait parfaitement la route, heureusement !
Enfin on retrouve avec un peu de soulagement les bords identifiables d’une piste, puis une halte au sommet d’un colline où la vue porte à des dizaines de kilomètres , immensité silencieuse et immobile, jalonnée de cairns de pierres, anciens repères des voyageurs.
Le route aller se déroule à l’envers par le lac avec un coucher de soleil flamboyant dans les nuages. L’Hekla couronné de neige se teinte de rose, le sommet perdu dans les nuages, mijotant sa prochaine éruption ?
Une journée épique, qu’on n’est pas près d’oublier…
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