Un autre monde : bienvenue en enfer !

Voyage en enfer

Réveil au camp de Kerlingarfjöll, nous sommes en plein milieu de l’Islande dans notre chalet miniature, arrivés de Reykjavik la veille…

Au refuge de Kerlingarfjöll

Le plafond nuageux est si bas qu’on ne sait pas si c’est les nuages qui sont descendus ou le brouillard qui est monté…
Le petit déjeuner est servi  dans l’autre bâtiment où se situe la salle commune et l’accueil : cérémonie des chaussures à l’entrée, comme c’est la coutume dans tous les pays nordiques, et premier déjeuner islandais avec charcuterie, fromage, skyr (yaourt épais aux fruits), pains maison, confiture etc…
Rien que du calorique tout ce qu’il nous faut pour notre expédition du jour ! Il y a déjà plusieurs personnes de tous âges, même avec des enfants en bas âge, ou des personnes d’un certain âge, comme quoi on trouve de tout dans ce bout du monde au milieu du pays…

Avant de partir, je demande à la gardienne le chemin pour se rendre sur la zone géothermique avec ma carte ; elle me dit :” I have a better one ! ” (J’en ai une bien meilleure !), et me donne une carte détaillée des environs. Le site est à 2h de marche environ ou 1/4h en voiture ; le choix est vite fait vu notre emploi du temps chargé pour la journée et la météo bouchée.

La piste démarre juste derrière le campement et monte carrément sur la crête de la colline, mais la vue est très limitée à quelques mètres par le brouillard épais. On espère que le temps va se lever par la suite…en naviguant à vue et suivant les rares panneaux, on descend, remonte pour traverser dans un creux une zone neigeuse, a moitié fondue avec des ornières de boue de 25 à 30 cm tracée entre deux pans de neige de 1 m de haut !!!
Pas question donc de passer à côté…Donc, passage du Land Rover en boite courte, petite vitesse et en avant ! Sur le côté et en diagonale pour ne pas avoir les 4 roues dans les ornières, ça patine un peu mais ça passe !

Land Rover et la cabane au fond du…désert !

Laborieusement et lentement, on continue de gravir les pentes pour finalement arriver sur un plateau désertique avec un abri-refuge caractéristique en Islande en « V » inversé, la piste s’arrête un peu plus loin, barrée par des lourds blocs de pierre, personne d’autre…
Dès qu’on arrête le moteur et descend de voiture, on entend un souffle et des bruits irréguliers, comme des « ploups » de temps en temps.

A quelques mètres du parking le sol est perforé de trous d’où s’échappe de la vapeur et l’odeur sulfurée ne fait aucun doute, on voit quelques évents colorés de gris, où la vapeur soufrée changée en acide sulfurique a transformé la lave en glaise grisâtre, et d’autres zones colorées en jaunes-orange et rouge avec des dépôts de souffre ou de rhyolite.

Les montagnes de la femme troll

C’est en effet la traduction de Kerlingarfjöll, femme troll qui devait être la sœur du géant Surtur dans la mythologie nordique…Un jour elle n’est pas rentrée à l’abri avant le lever du jour et a été transformée en pierre comme tous les trolls, mais vous le savez déjà probablement…
A proximité du glacier de Höfsjokull, haut de 600m à 800m, le massif de Kerlingarfjöll a été formé par des éruptions sub-glaciaires à la fin de l’âge de glace.
La rhyolite (roche volcanique orangée typique d’éruption sous la glace) et la caldera (cuvette volcanique) témoignent d’un volcan central, éteint depuis des milliers d’années, certaines rhyolites sont recouvertes de lave ce qui est assez rare.

Le sentier se poursuit pile sur la crête de la colline vers l’inconnu …

Le sentier se poursuit après les panneaux explicatifs et file droit, pile sur la crête de la colline vers l’inconnu ; à droite on entrevoit dans le brouillard une rivière qui serpente entre des versants colorés et enneigés.

Le site se dévoile soudain hors de la brume, avec ses fumerolles et ses colorations caractéristiques. Juste après, un escalier à pic taillé à flanc de montagne plonge dans la vallée avec ses vapeurs incertaines et ses bruits inquiétants dans la brume.

Le site de Kerlingarfjöll : descente en enfer ?

Bienvenue en enfer !

Le site est impressionnant par ses vues à pic et ses palettes de couleurs même atténuées par la brume, ce qui le rend encore plus mystérieux car on ne les découvre que par à coups. Les paquets de neige donnent une allure fantasmagorique en plus, avec quelques traces de verdure presque incongrues dans ce décor apocalyptique.

Une vue de Kerlingarfjöll

Tel Dante accompagné de Virgile, notre descente aux enfers commence donc, depuis la crête vers le fond de la vallée encaissée et dans le brouillard ; brouillard ou fumerolles ? La descente se fait précautionneusement par l’escalier taillé dans la rhyolite orange, comme une lave recuite et érodée, très friable et glissante par temps de pluie.

La rivière elle-même semble fumer par endroits et bouillonner

Une fois arrivés au niveau de la rivière, on est entourés de jets fumants, projetant de la vapeur, la rivière elle-même semble fumer par endroits et bouillonner au milieu de la neige ; les versants des collines sont colorés de l’ocre à l’orange en passant par le jaune, du gris au mauve en passant par le bleu, l’eau elle-même passe par toutes les variations de bleus.
Sans parler du bruit incessant des jets de vapeurs et bouillonnements de tous les côtés comme des machines à vapeur discordantes et des odeurs sulfurées qui planent dans l’air !

Plusieurs ruisseaux parcourent les gorges du site, des pontons en bois permettent de passer d’une rive à l’autre, et des sentiers tracés permettent de le parcourir ; il faut éviter de s’en écarter car on n’est jamais sûr de la température et de la résistance du sol à un pas près, comme des jets de vapeurs ou des mares de boues mijotent lentement, au contraire des flaques d’eau bouillantes couvertes de bulles pressées qui parsèment le fond et les versants avoisinants. 

Dépôts de soufre et cristalisations

Au voisinage de certaines fumerolles, des dépôts de souffre et cristallisations semblent comme les croutes de la palette d’un peintre géant – peut être encore un troll mythologique – avec des jaunes, rouges, bleus, gris…

Une palette de peintre ?

Il est difficile de rendre l’ambiance de l’endroit, et de restituer les impressions tant il y a à voir et entendre !

Une autre partie de la vallée s’atteint par le passage d’un pontet en bois, un immense névé neigeux est encore là malgré les fumerolles bouillantes à quelques mètres la température ambiante n’est pas chaude.

Cette partie est plutôt l’ocre foncé de la rhyolite avec tous ses dégradés, aux versants veinés de marron foncé, gris. Une fois la montée bourbeuse franchie, un point de vue sur le confluent des vallées en bas et sur l’autre versant, raviné et coloré comme dessinant un tableau abstrait tout en dégradé de couleurs, “grandeur nature”.

Tableau abstrait grandeur nature

Tout en continuant le long de la crête d’une colline, la vue sur le versant opposé est totalement différente : la paroi est entièrement couverte de fissures d’où s’échappent des solfatares, le sol est coloré de dégradés de marron, de jaune, d’ocre, de gris, de bleus.

C’est l’opposé de l’autre versant autant il est calme et reposant, d’une teinte unie en dégradé, autant ce côté est tourmenté, balafré par les ravines et fumerolles, aux couleurs chatoyantes et variées, aux reliefs perturbés.

Comme incongru dans ce paysage perturbé, un dôme de rhyolite presque parfait tranche de ce côté du site. De plus l’atmosphère irréelle est renforcée par le brouillard ambiant et le plafond bas qui tend à donner un aspect mystérieux et dantesque à tout le paysage.

Un dôme de rhyolite presque parfait

Les fumerolles redoublent d’activité par moment ou s’amenuisent à des rythmes imprévisibles rendant la vue tantôt dégagée, tantôt bouchée. Par endroit les minéraux issus des fumerolles déposent tantôt des cristallisations superbes telle une palette de peintre desséchée, ailleurs c’est la boue desséchée qui forme comme une mosaïque antique colorée et assemblée.

Une fois parvenu au bout du sentier suivant la crête, on rebrousse chemin et redécouvre ces merveilles de part et d’autre vues sous un autre angle et toujours aussi fantastiques, mystérieuses et impressionnantes.

Comme je suis seul sur la cime entre les deux versants antagonistes, le calme et l’unité de couleur face à la débauche d’énergie et de teintes j’en profite pour faire un panorama à 360° (Cliquer sur l’image ci-dessous pour visualiser).

Panorama interactif 360° du site de Kerlingarfjöll (cliquer sur l’image)

Redescente vers les ruisseaux par le même itinéraire incertain, boueux et enneigé, décors de rhyolite orangée, sols gris de plomb, fumerolles et cristallisations, traversée de la rivière fumante et bouillonnante, pour finir par l’escalade interminable de l’escalier vers le plateau final : un vrai itinéraire digne de Bilbo le Hobbit en route pour le Mordor !

Le plafond des nuages et du brouillard s’est enfin un peu levé et dévoile mieux les parois des vallées avoisinantes avec leurs teintes et dégradés magnifiques dont nous sommes encore les seuls à jouir.

Les fumerolles sont alignées le long d’une ligne de faille

Peu de verdure dans ce monde minéral mais quelques traces quand même d’une végétation spécifique et qui a su s’adapter à ces conditions extrêmes : on trouve des mousses spécifiques à l’activité géothermique ainsi que des lichens qui ajoutent une faible touche de vert au paysage.

Depuis le parking sur le plateau, d’en haut on remarque que les fumerolles et sites géothermiques ne se limitent pas au fond de la vallée mais s’étendent aussi sur les flancs et sommets alentours suivants de lignes à peu près régulières, les failles sismiques probablement. Le Land Rover nous attend sagement alors que les voitures commencent à arriver : tant mieux, nous avons pu profiter de tout le site de Kerlingarfjöll pour nous seuls dans une ambiance mystérieuse et unique…

Il y a quand même quelques notes de verdures et de rares fleurs qui survivent dans cet environnement rude et désertique, comme la silène acaule typique avec sa coupe « en boule » et les dryades qui survivent dans les cailloux et éboulis.

Touffe de silène acaule

Retour au camp par la route avec une visibilité meilleure, la vue est dégagée à présent sur la vallée plate qui se dévoile mais le ciel est toujours plombé. Le refuge dans son écrin d’oasis verdoyante et le site grandiose et mystérieux valent bien le détour depuis la piste de Kjöllur !

Hveravellir, « le champ des sources chaudes »

Même si les pistes de l’intérieur de l’Islande sont bien moins fréquentées, on fait des drôles de rencontres, de drôles de véhicules. Que ce soit des marcheurs avec leur paquetage en plein désert de cailloux à des dizaines de kilomètres de nulle part, des cyclistes sous la pluie battante voir même un marcheur qui tirait son paquetage sur une remorque, et des bus surélevés à toute allure.

Ici c’est une « coccinelle » VW qui passe devant nous à un arrêt photo, un petit coucou, elle est passée : ce sont des allemands venus avec leur propre voiture, probablement à travers le Danemark et par ferry via les iles Féroé jusqu’à la côte est, un sacré périple !

La coccinelle en Islande…

Depuis Kerlingarfjöll nous rejoignons la piste Kjöllur en déroulant le chemin à l’envers jusqu’à la piste vers le nord pour l’étape vers Varmalid en fin de journée. La route continue vers le nord toujours ondulant dans une plaine désertique brune de cailloux avec de rares touffes de végétation. De loin en loin On aperçoit la forme caractéristique en cône des volcans classiques ou même de volcans « boucliers » moins pointus et plus avachis, ainsi que le glacier Langjökull qui se profile à l’horizon vers l’ouest.

Désert autour de la piste Kjöllur (CLIQUER SUR L’IMAGE POUR AGRANDIR)

Après une trentaine de kilomètres se présente le carrefour vers Hveravellir. C’est un autre site géothermique et une halte sur l’axe sud-nord. On y trouve aussi un refuge et un camping comme à Kerlingarfjöll mais beaucoup plus fréquenté car plus accessible depuis le nord, à deux pas de la piste principale, et surtout un petit bassin d’eau provenant d’une source chaude où l’on peut se tremper en toutes saisons. De nombreuses randonnées sont possibles autour du campement ce qui en fait un point assez fréquenté, même s’il y a moins de monde que dans le cercle d’or.

Le champ des sources chaudes

Une des premières choses qu’on rencontre, c’est un monument symbolisant deux cœurs en pierre dans une cage de fer et de roc, à la mémoire d’un hors la loi, Eyvindur, qui vécut avec sa femme dans ce désert de pierre, s’abritant dans une faille qu’il avait aménagée à côté de la source chaude. Il fallait vraiment en vouloir pour s’exiler dans un tel coin perdu…

A la mémoire d’un hors la loi, Eyvindur,

Le parcours commence autour du bassin d’eau chaude où pataugent de nombreux touristes malgré le temps frais et pluvieux : ils sont une douzaine dans le bain ! Attention ce n’est pas une piscine, juste un bassin de 4-5m de diamètre, si l’envie de vous tremper vous prend et qu’un car de touristes vient d’arriver, c’est manqué !

Le minuscule bassin (en bas à droite)

Des passerelles de bois parcourent le site de Hveravellir et permettent de franchir les marécages sans abimer la flore…

…et mènent aux premières cuvettes bouillonnantes et fumerolles très actives, ici pas d’odeurs soufrées il s’agit uniquement et heureusement que de vapeur d’eau mais très chaude !

Chaud devant !

Autour des bassins se sont déposées de concrétions typiques de l’endroit et originales de geysérite en plaque fines et concentriques qui rappellent un peu les dépôts de calcite dans les bassins des grottes souterraines.

Il y a notamment une petite vasque bleutée nommée Blahver, avec les concrétions s’étageant en pile d’assiettes qui est de toute beauté ! Un fin dépôt blanc s’est aussi solidifié vers la surface de l’eau qui semble si fragile qu’un coup de vent pourrait le casser…

Une petite vasque bleutée nommée Blahver

Plus loin un évent pyramidal qui porte le doux nom de Öskursholsver, « la source qui crie », s’est construit sur une pile de couches de geysérite et émet de la vapeur à un rythme discontinu comme une respiration en tournant suivant le vent.

Öskursholsver, « la source qui crie »

Ailleurs une autre vasque bleue fume doucement, enchâssée dans de fines couches de minéraux blancs et ocres qui se sont déposés et surplombent la surface de l’eau. Cela semble si fragile et en suspension qu’on se retiendrait presque de respirer ! Heureusement ces constructions sont assez protégées par le cheminement sur les passerelles aménagées en bois entre les vasques et évents.

Une autre vasque bleue fume doucement, enchâssée

En s’engageant sur un des sentiers qui s’enfonce dans les champs de lave alentours, à peu de distance la végétation reprend place, preuve qu’il y a de l’eau et un sol fertile et l’on a une vue globale du site avec ses trainées de vapeur à l’horizon. La sente serpente dans la lave irrégulière jusqu’à une antique bergerie semi-enterrée restaurée avec son toit de gazon- dommage que la tôle ne soit pas entièrement masquée-, ses murs de lave et son intérieur austère et rustique.

Toujours dans le désert du champ de lave, à présent très plat et très vert au contraire de Kerlingarfjöll qui est un ancien cratère, il s’agit ici d’un épanchement d’un flot de lave qui s’est solidifié, quelque fois en formant comme des bulles qui ont gonflé et fissuré en se crevant, on les surnomme des « gâteaux », certains formant des cavernes de plusieurs mètres permettant des abris naturels.

Un abri sous la lave

Rien d’autre sur des kilomètres carrés, à l’horizon des montagnes enneigées qui bordent l’extrémité nord du glacier qu’on a longé depuis hier, qui mérite bien son nom de Langjökull, le glacier long. On trouve parfois quelques touffes de fleurs mauves ou blanches, rases et par paquets.

Sporadiquement, des « gâteaux » surgissent ici et là du paysage de lave figée, bombés en un dôme presque parfait et craquelés comme s’ils avaient trop cuit !
Un des plus imposants de ce parcours est nommé Evindarett qui doit bien faire plusieurs dizaines de mètres de diamètre pour une dizaine de mètres de haut ! On raconte que c’est l’ancien parc à moutons du hors-la-loi précédemment cité.
Si vous regardez attentivement, il y a une personne debout à son sommet, cela vous donne l’échelle du gâteau !

Evindarett : si vous regardez attentivement, il y a une personne debout à son sommet…

La bulle de lave s’est fissurée en son milieu et permet de grimper à l’intérieur entre deux murs de lave jusqu’à son sommet.

De là on domine toute la plaine monotone de lave et la vue porte à des kilomètres à la ronde, jusqu’à Hveravellir qu’on reconnait à son agitation par rapport au calme d’ici…

Un petit panoramique sur la morne plaine mais qui a son charme et c’est retour vers Hveravellir sans passer par Strytur, un cratère de volcan qui semble intéressant mais encore assez loin et on doit faire des choix !
Encore de magnifiques « gâteaux » qui parsèment les alentours et dont on ne se lasse pas, un petit cône de lave et c’est le retour par un sentier en boucle qui nous ramène au point de départ.

Qui dit herbe dit moutons en Islande, on n’en verra jamais dans les déserts de pierre mais ici ils ont conquis le terrain et broutent sur le sentier ; tout doucement on les approche, car ils sont assez sauvages pour les photographier, à pas de… loup ! Et c’est la débandade…la plupart du temps par trois, il y a une brebis et ses deux agneaux des années précédentes, même s’ils sont d’un fort beau gabarit, ils la suivent encore comme leur ombre.

Plus on se rapproche du site géothermique, les vapeurs et fumerolles jaillissent du sol, ainsi que des sources de chaleur qui émanent de failles entre les rochers.
Autour de ces points chauds la végétation s’est concentrée et diffère des herbes et des mousses du champ de lave. Une multitude de petites fleurs mauves et rases, c’est du thym arctique, eh oui il pousse du thym sous ces latitudes, moins fort en parfum mais thym quand même, une espèce parmi plus de 300 !

Ici la mousse a pris une curieuse teinte jaunâtre sans doute adaptée au régime chaud et sulfuré à proximité des évents provenant du sous-sol, le sol est devenu couleur ocre rouge et se dénude au fur et à mesure qu’on se rapproche du parking. Ailleurs la mousse jaune se mêle à une autre mousse grisâtre, presque extra-terrestre d’aspect, ou est-ce la même sous d’autres aspects ? En tous cas le tableau est saisissant et impressionniste.

Ailleurs la mousse jaune se mêle à une autre mousse grisâtre, presque extra-terrestre

Depuis Hveravellir la piste continue plein nord avec la plaine qui se déroule à l’est, la route elle continue sur les points hauts, une série de cairns s’alignent sur la droite, probablement ceux placés à l’origine de la route qui étaient destinés à guider les voyageurs en hiver sans repère dans l’immensité de neige.

Cap au nord

Après avoir parcouru une trentaine de kilomètres à nouveau, le lac Blöndulon se dévoile petit à petit dans son immensité. Plus loin un point de vue surélevé après le refuge d’Afangafell permet de l’admirer : plus de dix kilomètres de long sur autant de large ! D’un bleu-gris acier entre la couche de nuages et le sol foncé de lave, l’ensemble donne froid dans le dos, la température locale et le vent soufflant y sont aussi de la partie…

Une table d’orientation situe les sommets voisins à l’horizon à 25 km, un panneau explicatif explique que ce lac de 57 km² est le premier d’une chaine de lacs reliés en cascade par des tunnels, canaux et barrages pour une capacité de 400 milliards de litres, qui aboutissent à la centrale hydro-électrique de Blanda à des dizaines de kilomètres d’ici…
Blanda est en fait le nom de la rivière issue du lac mais qui s’est trouvée privée des eaux issues du réseau des lacs, et retrouve son cours à la sortie de la centrale.

La route longe le réservoir puis passe sur une digue immense au nord et slalome entre les lacs aux noms typiques : Thistika, Fridmundavötn…jusqu’à la centrale de Blanda.

Et là…miracle : le retour de l’asphalte ! Depuis deux jours on y était plus habitués et ça fait drôle de ne plus être ballottés, avoir à déjouer les nids de poules, tôle ondulée, etc…La route amorce un large virage en descente et comme un avion nous plongeons dans le canyon de la rivière Blanda, pour rejoindre plus loin la RN1 qui ceinture l’île.

Le troll de Hvitserkur 

Un détour par la baie de Hunafloi pour revoir le rocher de Hvitserkur : c’est une formation de lave en forme d’arche de 15 m de haut, à l’écart de la côte que la mythologie locale attribue à un troll pétrifié au lever du soleil alors qu’il était occupé à lancer des pierres sur le monastère de Þingeyrar.

Le troll de Hvitserkur : un animal qui se désaltère ?

Plus géologiquement, il s’agit d’une coulée ancienne de lave qui s’est ensuite solidifiée dans un tranchée de terrains meubles ; l’érosion a lessivé les terres en laissant la coulée en arche, comme une fonderie à moule perdu…

Le rocher est de lave noire maculé de blanc par le guano des oiseaux, avec des taches et des trainées, on peut y accéder au pied à marée basse. A y regarder de plus près il semble fait non pas de lave coulée mais que celle-ci s’est solidifiée en formant des blocs comme des briques empilées. Quelques touffes d’herbes chapeautent le sommet comme une coiffure et des oiseaux nichent sur le géant pétrifié.

Au loin le fond de la baie de Hunafloi est une grande étendue sablonneuse noire, estuaire d’alluvions apportées par les fleuves depuis les glaciers au centre de l’île.

La baie immense avec Hvitserkur  à gauche

Fin de l’étape vers Varmalid, plus exactement à la guesthouse Steinstadir, un gite aménagé dans une ancienne école à 15km de là. En quittant la RN1 au hameau de Varmalid, la route s’enfonce dans une vallée, un paysage agricole de vastes prairies vertes avec des chevaux islandais typiques, même les constructions modernes reprennent le style ancien de plusieurs petites bâtisses accolées plus faciles à chauffer et à construire qu’autrefois car le bois étant rare on ne pouvait faire de grandes charpentes.

Ferme islandaise à l’ancienne

Les sommets des montagnes sont noyés dans les nuages bas, un hameau à gauche avec sa petite église, une maison cubique avec le drapeau « Farmholidays » : le gite est là, nous sommes arrivés.

Eglise à Varmalid

Une sacrée étape sur cet autre monde… Qui aurait crû que les déserts abritaient tant de couleurs ? Et on n’est pas au bout de nos surprises…

De Kerlingarfjöll à Varmalid

Un autre monde : atterrissage

Après plusieurs heures de voyage, l’aéronef a traversé les couches supérieures de l’atmosphère et navigue à présent dans une bande nuageuse sans visibilité. Soudain des ilots inconnus émergent de l’océan, qui prend des couleurs dorées sous la pâle lumière de ce soleil qui ne se couche jamais tout à fait ici à cette époque.

Sous la pâle lumière de ce soleil.

Ilets aux contours torturés, déchiquetés et sombres, comme jetés au hasard, battus par les flots d’écume blanche sur les rochers noirs. Après avoir infléchi sa course, des grondements et des vibrations dans la carlingue indiquent que l’atterrissage est proche.
Une côte rocheuse, découpée et noire, se dessine en dessous : le sol est irrégulier, couvert de laves sombres grumeleuses formant une surface inégale sans trace de végétation si ce n’est des mousses aux couleurs de rouille.
Ca et là des jets de vapeurs fusent du sol, parfois domestiqués par des installations métalliques d’où jaillissent des conduites qui se perdent vers l’horizon.
Pas de traces de civilisation, seuls des grands lacs bleu azur bordés de blanc, incongrus dans ce décor désolé, se détachent sur l’immensité du paysage en dessous.

Une côte rocheuse, découpée et noire.

Un choc, des crissements, on stoppe enfin. Une aérogare minuscule en regard de celui qu’on vient de quitter, des inscriptions en une langue inconnue, nous débarquons sur un autre monde…

Une autre planète, un nouveau monde… ? Non.

Bienvenue en Islande !

La plus grande île volcanique au monde, avec le plus de volcans en activité, la plus grande zone désertique volcanique, bref l’île de tous les superlatifs que nous allons explorer, non pas en faisant le périple classique touristique de l’ île par la route n°1, mais en la traversant du sud au nord et inversement par les pistes, gués, refuges et glaciers !

En voiture !

Nous voici de retour en Islande pour la troisième fois, après un premier tour par la côte en été, puis avoir arpenté la côté Sud en hiver sous la neige, nous allons cette fois l’explorer en profondeur en traversant le pays au travers des déserts.
Le lendemain, après avoir récupéré du voyage à proximité de l’aéroport, nous prenons en charge notre véhicule d’exploration : un 4×4 Land Rover Defender quasi neuf, condition indispensable en Islande pour s’aventurer sur les pistes de l’intérieur du pays.
En effet si les routes sont ouvertes à tous les véhicules, les pistes elles, sont interdites aux véhicules classiques car trop dangereuses, non goudronnées et nécessitant parfois des passages de gués. Si vous le faites avec un véhicule de tourisme, c’est à vos risques et périls, sans assurance !

Notre véhicule d’exploration : un 4×4 Land Rover Defender.

Déjà les magnifiques lupins bleus éclairent un peu le paysage austère de laves, fleurs introduites par un explorateur il y a des dizaines d’années et qui se sont si bien acclimatées qu’elles sont à présent considérées ici comme espèce envahissante !

Les magnifiques lupins bleus éclairent un peu le paysage.

Pas de visite cette fois de la capitale, Reykjavík, si ce n’est pour faire le plein de provisions, car nous n’allons pas être privés de désert pendant quelques jours, et pour l’achat aussi de cartes SIM pour les téléphones et internet.
En effet ici en Islande les réseaux téléphoniques sont très bons, même au milieu de nulle part car ils sont le support indispensable aux secours, voir même en cas d’éruption où tous les téléphones dans la zone sont avertis simultanément…

Notre route traverse une zone de laves couvertes de mousse à la couleur jaunâtre et à la texture spongieuse qui tend à donner un air extraterrestre au paysage qui s’étend à portée de vue.
Quand je parlais d’une autre planète…

Un air extraterrestre au paysage.

Les couches de mousses poussant sur la lave ont tendance à adoucir leur relief tourmenté et les scories vomies par les volcans, formant comme une mer moutonnant sur les aspérités et reliefs du paysage.

Une mer moutonnant sur les aspérités et reliefs du paysage.

Entre deux continents :

Le trajet que nous avons préparé passe par le grand site de Thinkvellir, près du lac Thingvallatn. Site à la fois géologique et historique, car c’est à cet endroit qu’on peut observer la formation originelle de l’Islande, île née à cheval sur la séparation entre les plaques tectoniques américaine et euro-asiatique. Mais aussi parce que ce lieu vit la création du premier parlement élu au monde, où se réunissaient les clans d’Islande pour choisir leurs représentants.

Un chemin descend entre les falaises distantes : l’une est en Amérique, l’autre en Europe, et elles s’éloignent de 2,5 cm par an, à la même vitesse que poussent vos ongles…
Cette faille traverse toute l’Islande en diagonale, du sud-ouest au nord-est, avec une ramification.

Plus loin une cascade jaillit du haut de la falaise, l’Oxarafoss, dont on dit que la rivière Oxara qui l’alimente fut détournée pour abreuver les réunions du parlement qui se tenait sur ce site.

Une cascade jaillit du haut de la falaise, l’Oxarafoss.

Un flot impétueux dégringole de la falaise sombre pour s’écouler entre les blocs de roche basaltique et se jeter dans le lac en contrebas.

Un flot impétueux dégringole de la falaise.

Le site de l’Almannagjá est bien aménagé avec des allées en bois et est très verdoyant, fleuri de boutons d’or et de pensées sauvages bleues, avec quelques arbres, rares en Islande.

Site fleuri de boutons d’or et de pensées sauvages bleues.

Et au milieu coule une rivière…

Plus bas dans la plaine, un ensemble de failles résulte de l’écartement des plaques tectoniques, failles qui se sont remplies d’une eau très pure teintée de bleu provenant des glaciers à 40 km d’ici et filtrée par le sous-sol.

Une eau très pure teintée de bleu…

L’eau est tellement pure qu’on ne se rend pas compte de la profondeur qui peut atteindre plusieurs dizaines de mètres ! On peut même effectuer des plongées en scaphandre dans ce monde irréel et froid : près de 0°C. Si ça vous tente, vous pourrez toucher des mains en même temps l’Amérique et l’Europe, à vos scaphandres…

Dans ce décor, une petite église pimpante aux murs blancs bordés de vert et au toit gris se dresse là sous le ciel plombé tel un décor de cinéma, près de petites maisons accolées à la mode islandaise.

Une petite église pimpante aux murs blancs.

Dans le petit cimetière attenant on peut trouver des noms typiquement islandais : les noms de femmes se terminent par “Dottir” (fille de…) et d’hommes par “Son” (fils de…), ce qui complique pas mal l’état civil comme on n’est ici connu comme fille de ou fils de untel…

Dans le petit cimetière attenant on peut trouver des noms typiquement islandais.

Au bord de la rivière, un champ de linaigrettes illumine le paysage de taches blanches, ce sont des fleurs de zone humide qui poussent dans les marais ou au bord des ruisseaux.

Un champ de linaigrettes illumine le paysage.

Atmosphère très clame, reposante et majestueuse qui émane de ce site à la fois grandiose et simple, juste posé là, à la limite de deux mondes, l’ancien et le nouveau, symbole de cette île à la fois jeune géologiquement malgré ses 20 millions d’années et qui voit encore tant de bouleversements.

A la limite de deux mondes, l’ancien et le nouveau.

A peu de distance de là, le second volet du « cercle d’or », qui regroupe trois sites incontournables d’Islande, c’est Geysir où la chaleur souterraine se manifeste en sources chaudes, vapeurs et un célèbre geyser éponyme…

Celui qui ne jaillit plus…

Geysir (celui qui jaillit en islandais) ne se manifeste plus depuis quelques années à la suite d’un tremblement de terre, et c’est Strokur (« la baratte ») qui a pris le relais. Toutes les 6-10 mn un jet de vapeur s’élève à une dizaine de mètres de hauteur depuis une vasque frémissante.
La surface ondule, gonfle, se rétracte puis enfle à nouveau pour exploser en un panache blanc, puis retombe pour remplir à nouveau la vasque et le puits pour un nouveau cycle.

Le spectacle impressionne par sa force, sa beauté et sa brièveté : à peine jailli, le jet va tutoyer les nuages puis se dissipe , et le spectacle est déjà fini, pour reprendre après une dizaine de minutes, s’il n’y a pas de « flops » quelquefois quand le geyser se manque.

Le jet va tutoyer les nuages…


Mais le spectacle est aussi au sol avec les multiples concrétions et ridules de calcite laissées par l’eau qui s’écoule depuis des millénaires.

Les multiples concrétions et ridules de calcite.

Aux alentours d’autres manifestations hydrothermales sont visibles, comme des marmites bouillonnantes et jets de vapeur parmi une végétation rase de mousses et fleurs qui survivent dans ce milieu.

Retour au parking pour retrouver notre Defender rutilant, mais pas un monstre de confort : il y a de la place mais les sièges sont assez durs et très droits, on se trouve assis « à l’équerre » sans grande possibilité d’incliner les sièges, il faudra faire avec…

L’aventure commence ici…

La logique voudrait qu’on (re)visite le 3e site du cercle d’or, à savoir la cascade de Gullfoss, mais nous avons décidé de faire l’impasse pour avoir plus de temps vers notre première étape au cœur de l’Islande. Car c’est un peu l’inconnu : quelques semaines avant notre départ, à la suite de fortes pluies et du dégel, un pont a été emporté avant le camp où nous faisons étape et il faut franchir un gué !

Nous reprenons donc la route goudronnée vers le nord et l’inconnu car malgré nos précédents voyage,s nous n’avons jamais pénétré au cœur de l’Islande ni circulé sur des pistes ; donc en avant pour notre baptême de conduite 4×4…!
Nettement moins de trafic à présent qu’entre les sites du « Cercle d’or », la route asphaltée serpente quelque temps entre des prairies vertes après Gullfoss, puis la végétation se raréfie brusquement et on passe au décor d’un désert brun, aride et rocailleux en moins de temps qu’il ne faut pour le dire.

La piste 35 est elle aussi passée en mode désert.

Sans préavis ou presque, la route, pardon la piste 35 est elle aussi passée en mode désert : plus d’asphalte, c’est un revêtement de terre damée avec des gravillons qui nous précède.  Au loin à l’horizon, se dresse la forme régulière conique et caractéristique de volcans.
Seule concession à la végétation, des touffes de lupins mauves par endroits, contrastent avec l’ocre du sol et les cailloux polis par l’érosion, avec quelques rares touffes d’herbes rases qui poussent sur le sol.

Des touffes de lupins mauves par endroits…

Une petite halte photo avec des cratères à l’horizon, on distingue la route qui se déroule en ondoyant au loin et s’enfonce vers les premières montagnes encore marquées de traces de neige en cette mi-juillet.

La route qui se déroule en ondoyant au loin.

Cette piste 35, aussi nommée Kjalvegur, était déjà présente dans le livre qui décrit comment les nordiques vinrent s’installer en Islande ; elle est le plus court chemin entre le sud et le nord de l’île. Elle  était préférée à la piste Sprengisandur car plus facile et plus sûre dans le passé, et a été balisée par des cairns pour les voyageurs (empilements de pierre réguliers de loin en loin) seulement à la fin du 19e siècle.

Après avoir flirté avec la rivière Hvita (“blanche” en islandais), celle-là même qui provoque en aval les superbes chutes de Gullfoss, la piste aborde alors les contreforts du mont Blaefell qui dépasse les 1000 m d’altitude. On sent un net rafraichissement au fur et à mesure qu’on s’élève aussi de plusieurs centaines de mètres en quelques kilomètres parcourus, jusqu’à un carrefour particulier où l’on stoppe.

Les contreforts du mont Blaefell.

Ici un immense tas de cailloux de plusieurs mètres de haut est dressé comme un immense cairn. La légende raconte qu’une paire de bottes y est enterrée tout en dessous, laissée par un des ouvriers qui ont tracé la route à l’origine, et les passants ont rajouté littéralement leur pierre à l’édifice !

La légende raconte ….

Vue dégagée : droit devant, la piste continue en redescendant presque vertigineusement dans la plaine vers le lac Hvitarvatn (« lac blanc ») issu de la fonte du glacier Langjökull (« long glacier ») à l’ouest. Un bus bleu franchit le col sans presque ralentir et entame la descente de l’autre côté à toute allure.

Depuis le col, nous descendons la piste de quasiment 250m en 2 km soit plus de 10% de pente en ligne droite jusqu’à la rivière Hvita qui s’écoule du lac.
Bien que le pont soit à voie unique (panneau « Einbred Bru », pont à une voie) nous ne sommes pas les seuls : un troupeau de moutons traverse aussi la route pour aller sur les berges du lac où pousse un peu de verdure. Enfin un peu de vie et d’animation !

Comme d’habitude ils sont peureux et redescendent vite du bas-côté vers le lac ; le seul danger est si l’un d’eux change d’avis et fait demi-tour devant la voiture ! Mais en général il s’agit de brebis et de leurs petits pas encore indépendants qui la suivent aveuglément.

A présent la piste continue en terrain plat avec vue sur le lac tout en longueur, piste toujours brunâtre et parsemée de cailloux jusqu’à la taille d’un ballon, rarement plus gros. Le lac et glacier toujours à notre gauche, en arrière-plan le massif montagneux qui borde le Langjökull est veiné de névés de neige et couronnés de nuages qui masquent leurs sommets, du plus bel effet. Oui il y a de la neige…nous sommes en Juillet mais pas loin du cercle polaire arctique, et ce n’est que le début…

On the road again…

Toujours une piste damée -ou damnée ? – de cailloux, quelques fois avec de la « tôle ondulée », succession de creux et bosses, comme fabriquée par le passage de chenillettes ; assez pénible, il faut rouler à la bonne vitesse pour « survoler » et éviter les secousses ou à côté des ornières…

Une piste damée -ou damnée ?

Toujours peu de circulation, dans un sens ou l’autre bien que cette voie ne soit plus classée piste en « F » mais peut-être moins spectaculaire que d’autres, et pourtant…

Un désert de roches rougeâtres, ne serait-ce le ciel et les nuages on pourrait se croire sur Mars, y croiser un rover d’exploration n’y serait pas incongru…

On pourrait se croire sur Mars…

Au loin on aperçoit les masses impressionnantes des langues glaciaires du massif, avant-gardes imposantes qui s’avancent sur les terres ou viennent fondre dans le lac.

Enfin s’annonce le carrefour qui va nous amener au campement du premier soir, au refuge de Kerlingarfjöll, à l’écart de la piste 35 vers le site géothermique. C’est là qu’un pont a été emporté par les récentes crues dûes à la fonte de neiges…en Juillet !
Décidément je ne m’y fais pas, ayant quitté le midi de la France sous 35°C…
Un premier pont d’abord puis l’aérodrome de Kerlingarfjöll, enfin sa pancarte car en réalité c’est un bout de terrain à peu près plat, dégagé de ses cailloux et balisé ; un point, c’est tout, ne cherchez pas la tour de contrôle et la buvette !

La cascade de Gygjarfoss

Prochaine arrêt et c’est là que le pont fait défaut…la route a néanmoins été aménagée avec un gué où l’on trempe finalement à peine les roues et on stoppe quelques mètres plus loin.

La cascade de Gygjarfoss.

La cascade est impressionnante même à l’ombre de cette fin d’après-midi, avec les monts de la chaîne du Kerlingarfjöll en arrière fond. Il y a quelques névés blancs qui parsèment les alentours ainsi que le bord de la rivière. La cascade se jette en tourbillonnant d’une dizaine de mètres de haut sur un front de 30 m environ. L’eau d’abord bleutée jaillit en jets blancs et tombe dans un bassin en écumant en un décor de laves sombres puis continue son cours dans un canyon encaissé.

La piste F347, car c’est en une « officiellement » depuis qu’on a quitté la 35, franchit deux petits ponts puis s‘élève sur une crête d’où l’on a une vue superbe : d’un côté une plaine où paresse la rivière de Gygjarfoss, de l’autre un aperçu sur le site du refuge de Kerlingarfjöll.

Un vrai décor de carte postale : une petite oasis verte autour du torrent dans ce désert de cailloux. Des prairies vertes logées dans une boucle de la rivière, un camping aux tentes bariolées, des chalets rouges aux toits verts accrochés aux pentes. Le tout encadré par les montagnes enneigées, quelques dégradés de couleur sur les flancs de collines et encore et toujours des plaques de neige qui ne semblent pas décidées à fondre !

Un vrai décor de carte postale.

Il y a même un micro-station électrique qui fournit l’électricité avec un petit barrage sur le torrent en contrebas !

Fin de l’étape, on se gare à côté d’une dizaine de véhicules puis on se rend à l’accueil auprès des gardiens du site. Déchaussage obligatoire comme dans la plupart des habitations islandaises, c’est compréhensible vue l’état extérieur du terrain.
Notre logement est au rez-de-chaussée d’un chalet pointu : l’entrée et des toilettes microscopiques, une petite chambre en bas et un minuscule coin cuisine, un couchage en mezzanine, eau froide et chaude, électricité limitée (il n’y a pas beaucoup de prises), voilà pour aujourd’hui.
Ça nous convient et on s’installe, prépare notre premier repas avec les provisions achetées ce matin à Reykjavik.  Ensuite on planifie la rando du lendemain sur le site géothermique de Kerlingarfjöll, beaucoup plus intéressante que l’ascension prévue du mont Snaekholur dont la vue est compromise vu le plafond bas.

Repos dans la nuit -blanche- islandaise :  ici le soleil ne se couche pas complètement derrière l’horizon en été et rebondit sur l’horizon…
Je remarque un livre laissé par d’autres voyageurs de T. Pratchett, un de mes auteurs préférés en littérature fantastique…
En édition islandaise ici : « Litbrigdi Galdranna », titre original « The Colour of Magic » prémonitoire pour le lendemain s’il en est…

Titre original « The Colour of Magic » prémonitoire !

Démons et Merveilles

Vallée des Merveilles

Nous avons pris nos quartiers d’été en altitude dans les Alpes Maritimes au-dessus de Nice, comme les troupeaux qui montent à l’estive…

Depuis la station de Valberg, à moins d’une heure de route de Nice, et à 1700m d’altitude il fait plus frais et moins lourd qu’à Montpellier : 25° tout au plus, c’est la température de la clim à la maison, sauf qu’ici c’est naturel et l’air est léger.
De plus on a droit à un petit orage quasiment chaque jour, qui rafraîchit l’atmosphère et fait monter une senteur agréable d’humus et de terre chaude.

Comme nous y venons depuis plusieurs années nous connaissons pratiquement toutes les ressources de randonnée et points de vue, mais il n’est pas inutile de refaire une randonnée ou la visite d’un site quand on ne l’a pas faite depuis de nombreuses années.

Ça n’est pas que la montagne change tellement d’une année sur l’autre, mais les souvenirs s’estompent, et le fait de faire la visite d’une façon différente permet de redécouvrir des merveilles après 15 ans…

C’est pourquoi je vous emmène en voyage à travers le temps et l’espace, dans :

La Vallée des Merveilles

Elle se situe à côté de la vallée de la Roya, près de la ville de Tende, à deux pas de la frontière italienne, au-dessus de Menton. Cette région était encore italienne jusqu’à l’après-guerre de 1945 où les frontières furent redessinées pour l’inclure à la France. Mais il règne encore un parfum d’Italie dans les bâtiments, les façades (voir le style mussolinien de la gare…) et l’accueil des locaux.

La piste qui monte vers les Merveilles débute près de Castérino, une minuscule station marquant le  bout d’une route depuis St Dalmas de Tende où nous passons la nuit à l’hôtel (il y a 2 heures et demi de route depuis Valberg) car le départ de la visite est matinal.

On peut monter à pied depuis Castérino, mais il faut compter 3h00 de marche sur 7,5 km avec un dénivelé de plus de 700 mètres pour atteindre seulement l’entrée du site, le refuge des Merveilles, au bord du lac Long.
Ensuite entre 2h30 à 4h00 sont nécessaires pour découvrir les gravures tout au long du GR52 et des sentiers ; et à nouveau 3h00 pour la redescente quoique ça doit aller un plus vite…
Étant un site historique protégé inclus dans le Parc National du Mercantour, de ce fait on n’a pas le droit de sortir des sentiers et on doit se contenter de voir la plupart des gravures importantes expliquées, mais pas toutes.

Cette vallée renferme plus de 40 000 gravures très stylisées qui représentent principalement des têtes de taureaux, des attelages, des armes et des quadrillages qui pourraient symboliser des champs. Les recherches archéologiques montrent que cet endroit était probablement un sanctuaire, où les populations agropastorales de la région rendaient un culte à la fécondité de la terre.

Gravures stylisées

C’est pourquoi nous avons donc choisi d’effectuer la visite avec un guide agréé en 4×4 qui nous véhiculera jusqu’au refuge et nous commentera  les gravures et le site et, nec plus ultra, la possibilité de sortir des sentiers pour admirer les gravures hors classe !

Bouclez votre sac, n’oubliez pas une gourde (d’eau…), lunettes et crème solaire : ça cogne à 2400m sans nuages.
Et en voiture pour la piste acrobatique qui monte au refuge des Merveilles !

En piste

Quelques kilomètres avant Castérino, une piste pentue marque le début de la montée vers la vallée des Merveilles. A quelque distance, une ancienne mine de plomb argentifère, la Minière de la Vallaura, et ses haldes sont toujours là, ses bâtiments ont été restaurés en gite pour les promeneurs, et la mine est en train d’être réhabilitée pour être visitée d’ici quelques années.

la Minière de la Vallaura

Au-dessus, par la piste caillouteuse et cahotante, on passe près du petit lac de la Minière niché entre les pentes dans les bois de mélèzes verts.

Le lac de la Minière

Au fait savez-vous que ce conifère est le seul à perdre ses aiguilles à l’automne, qui passent avant  par  de belles couleurs jaunes et orangées à l’automne pour ne laisser qu’un tronc dépouillé et noir à l’hiver. C’est aussi un bois imputrescible qu’on utilisait pour les bateaux et toujours pour les bardeaux qui recouvrent certains toits encore. Pas ou peu de sécheresse ici, cascades et sources coulent partout à côté de la piste.

La piste gravit les pentes entre les mélèzes, avec juste de quoi laisser passer un véhicule en largeur ; un croisement en sens inverse ? Peu probable, il y a juste dix guides agréés qui montent tous en matinée et redescendent en fin de journée, plus quelques pêcheurs éventuels et les bergers qui ne bougent pas.

Piste entre les mélèzes

Des échappées sur les montagnes montrent les stries laissées par les glaciers sur les roches, comme les moraines latérales déposées il y a 10 000 ans, ainsi que les minuscules traces humaines sous forme de bunkers datant de 1939-45.

Une ancienne vallée glaciaire

A travers les arbres on distingue enfin le mont Bego, imposante pyramide minérale qui culmine à plus de 2810m et qui a dû impressionner les habitants du néolithique vivant ici.

Le plus souvent la piste s’agrippe d’un côté aux rochers de la montagne, et surplombe le vide à la plus grande joie (…) des passagers !

Entre falaise et vide…

Un peu avant d’arriver au refuge, les rochers changent d’aspect, on rencontre à présent des grands blocs violets de grès chargé de fer qui lui donne cette teinte, le tout parcouru de torrents issus des nombreux lacs de la zone.

De plus en plus ardue, la piste ondule entre les moraines erratiques, le 4×4 bringuebale de tous les côtés en roulant au minimum pour éviter les secousses, sans grand succès !

Heureusement le trajet motorisé touche à sa fin à proximité du refuge sur le parking.

Le bâtiment du refuge est assez vaste et se situe au bord du lac Long dans un cadre idyllique.

A la découverte des Merveilles

Ici commence la randonnée à la découverte des gravures laissées par des peuplades il y a 4 à 5 mille  ans avant Jésus Christ, à l’âge du Bronze, dans un but encore ignoré aujourd’hui, sur les roches polies des vallées des Merveilles et de la vallée de Fontanalba juste à côté.
Des hommes ont réalisé des dizaines de milliers de gravures rupestres, à plus de deux mille mètres d’altitude, on en compte plus de 40 000 recensées à ce jour et il y en a encore à découvrir…

Depuis le refuge à 2100m le sentier emprunte le GR52, passe près du lac Mouton tout en contournant le lac Long puis en s’éloignant on domine progressivement le lac encaissé entre les pentes du mont Bego et le rocher des Merveilles.

Le lac Long

Toujours sous la présence majestueuse qui écrase le paysage, on comprend qu’il devait impressionner les peuplades du néolithique, d’autant plus que le site encaissé est sujet à des orages violents.

Sous le mont Bego

On découvre enfin une première dalle gravée avec une tête de bovidé cornée reconnaissable, motif qui va se retrouver tout au long du parcours. Ces gravures sont réalisées par « cupules », petits éclats enlevés par un outil de quartz à la surface oxydée de la pierre pour former une figure.

Une autre dalle recèle diverses gravures :

Et plus loin encore un ensemble avec de nombreux glyphes différents ; personne ne sait avec certitude la signification de ces symboles, seulement des suppositions : les têtes cornues pour des bovins, les quadrillages pour des champs, les poignards pour la force, un « Y » pour une charrue. Qui sait ?

Malheureusement depuis le début du 19e siècle où elles ont été découvertes jusqu’à récemment, certaines gravures ont été vandalisées, taguées voir volées, De plus toutes ces figures cornues, avec des poignards ou personnages dénotaient un aspect satanique au site. Ce n’est que depuis peu qu’elles sont classées monument historique et protégées sévèrement.

Toujours plus haut…A travers les rochers et éboulis où les moraines en équilibre depuis des milliers d’années semblent veiller sinistrement sur le site, le sentier se fraye un passage. Pas étonnant que ce lieu ait effrayé les voyageurs passant par ces cols au cours des âges avec ces figures et rocs menaçants, d’où le nom d’un pic, Cime du Diable.

Certaines figures sont dans un cartouche, comme un enclos :

Tête cornue dans un enclos

Le GR longe une paroi comme vitrifiée, aux strates tantôt verticales, tantôt horizontales,  qui montre un basculement énorme dû aux plissements des Alpes.

Paroi de grès polie par les glaciers

Tout est calme, sans un bruit à part les sifflements des marmottes dans cette vallée ; en suivant le sentier au détour d’un lacet, le bruit chuintant d’un torrent emplit soudainement l’air.

Le torrent des Merveilles

 On le franchit sur une passerelle de bois pour découvrir sur une paroi la gravure dite de la figure du Christ.

La figure du Christ

En fait il s’agit de plusieurs gravures superposées, un « V » avec le bas qui est une tête cornue, puis humanisée avec l’ajout du demi-cercle supérieur et des yeux et un « T » pour le nez et les sourcils…

Par un passage sous roche on progresse vers le lac des Merveilles enfin tout proche pour la pause de midi !

Le lac des Merveilles

Environnés de marmottes sifflantes mais quasi invisibles, il faut attendre qu’elles bougent pour se dévoiler ! En face de nous sur la paroi rocheuse, l’une profite du soleil…

…ou l’autre vaque à ses occupations.

Après la pause casse-croute, notre cheminement contourne le lac pour emprunter l’ancien tracé du GR52 en s’élevant sensiblement parmi les fleurs d’été comme ces œillets sauvages minuscules.

Baleines et sorcier

En s’écartant du sentier accompagné de notre guide, il va nous montrer quelques formations rocheuses caractéristiques : les « dos de baleine », ce sont des roches arrondies, polies tout en longueur par le lent passage des glaciers, s’étirant sur une centaine de mètres ; vers 2400m d’altitude il fallait encore une certaine épaisseur de glace pour polir ces roches.

Dos de baleine

D’en haut sous le Rocher des Merveilles la vue jusqu’au lac Long est fantastique…

Panorama sur les lacs

Quelque part dans un endroit caché dans les rochers se cache la figure iconique du site, l’emblème de la région, le fameux « sorcier » personnage aux bras levés, tenant deux poignards comme lançant une incantation face au Bego.

Le Sorcier des Merveilles

Les rochers usés en longs arrondis avec des teintes pastel forment un paysage digne d’un tableau.

Plus bas en redescendant vers le lac un autre ensemble des gravures se trouve sur le flanc d’un de ces blocs.

Il est temps de redescendre vers le refuge en rejoignant le sentier au niveau de la tête du Christ, puis dévaler sous le soleil  le chemin de retour, on sent nettement la chaleur revenir au fur et à mesure qu’on diminue en altitude.

Juste avant d’arriver au refuge, une marmotte se prélasse au soleil sur un rocher, mais les yeux ouverts ; on ne sait jamais d’où peut venir le danger !

Sieste de marmotte

On aimerait bien l’imiter mais il faut prendre la piste infernale du retour…

Enfin la route depuis Castérino, en passant par l’autoroute Vingtimille-Nice pour le retour au bercail valbergan pour un repos bien mérité , à soigner courbatures, coups de soleil et..

é-Merveillés !

Vallée des Merveilles
Panorama sur la vallée des Merveilles (cliquez sur l’image pour agrandir)