Départ vers Askja
Réveil à la guesthouse Grimstunga de Grimstadir, la neige d’hier soir n’a (heureusement) pas tenu ici ! Neuf habitants l’hiver dans le hameau qui voit sa population multipliée par 5 ou 6 l’été (!), enneigé huit mois sur douze…
L’endroit détient aussi le record de température la plus froide enregistrée par une station météo en Islande…Un proverbe islandais en disait :
« On pourrait presque y entendre les fantômes danser dans la neige… »
Petit déjeuner dans la pièce commune de l’habitation principale, puis départ pour le centre de l’Islande, au bord du Vatnajökull, le plus grand glacier de l’île et d’Europe.
Comme le plafond des nuages est bas, nous avons changé notre itinéraire initial qui était de descendre par la route F88 et voir le massif de l’Herdubreid et son refuge, pour emprunter la piste 901 sur l’autre rive de l’omniprésente Jökulsa à Fjöllum.
Après avoir repris la RN1 , le carrefour qui marque le départ de la piste 901 est là : une halte pour consulter les panneaux d’information, comme à chaque entrée de piste importante il y a des consignes à respecter pour les passages de gués, pour ne pas endommager l’environnement, la nature mettant des années à récupérer lorsqu’elle est endommagée à cause de la courte période estivale.
Nous allons affronter l’Odadahraun, toponyme signifiant « désert de lave des criminels », une étendue de 4500 km², le plus grand désert volcanique au monde composé de pierres, sable, falaises et laves, avec son pendant : peu de végétation et de faune.
Pas étonnant que les histoires anciennes regorgent de hor-la-loi s’y réfugiant quand on sait que son exploration date seulement du début du 19e siècle.
Malgré cela, on y trouve vers l’est des troupeaux de rennes, introduits en Islande au 18e, des oies sauvages et quelques plantes comme l’angélique dans les rares oasis préservées.
Möðrudalur
Départ sur la piste, celle-ci est pour l’instant sans problèmes, quelques kilomètres plus loin arrivée surprise à la ferme de Möðrudalur, la plus isolée d’Islande (décidément c’est le jour des superlatifs), composée de quelques bâtiments en bois, pompe à essence, café et une petite église : une vraie halte de village du Far West.
Son caractère insolite en fait un but touristique, avec sa minuscule église pimpante et ses petits bâtiments typiques en bois aux murs de tourbe, accolés et couverts de gazon à l’ancienne ; un bus touristique est arrêté là ainsi que quelques voitures.
En piste !
Dernier point de civilisation jusqu’au glacier Vatnajökull et la côte est, la route n’est plus goudronnée après et c’est une piste caillouteuse qui succède rapidement avec un avertissement de gués à franchir où les véhicules de tourisme sont interdits !
La cime enneigée de l’Herdubreid se dresse à droite vers l’ouest, saupoudrée de neige s’élevant au-dessus du désert de rocs marrons polis par l’érosion, montagne tabulaire de 1700m environ où s’ouvre un cratère au sommet.
Un premier petit gué pour traverser une rivière : un coup d’œil à au fond de l’eau et au courant, passage en boite courte, 1ere-2e et ça passe sans efforts !
Au carrefour, direction Askja / Kverkfjöll à 61km de distance pour notre destination, apparemment pas très éloignée, mais on ne fera pas 60km/h de moyenne sur la piste qui n’est pas une autoroute sans compter les gués et bien sûr les haltes photos !
Traversée du désert
C’est une traversée du désert au sens propre, rien aux alentours, pas de végétation, pas même un mouton c’est dire en Islande !
Le temps se maintient à couvert sans pluie et la poudrée de neige tombée dans la nuit sur ces plateaux brille sous les quelques rayons de soleil.
Quelques collines commencent à se dresser hors de la morne plaine caillouteuse et un gué plus important se présente ; nous descendons inspecter l’eau : peu de courant, peu profond. Un autre 4×4 Nissan s’arrête aussi. On y va doucement, ça passe et le 4×4 nous suit, de l’eau au-dessus du pare chocs, pendant qu’on attend au cas où, c’est la coutume et l’entraide sur les pistes islandaises…
Au gué suivant c’est l’inverse ils nous attendent et on ne s’arrête même plus, brevet « traversée de gué » obtenu ! Plus loin en s’arrêtant, on discute ensemble : c’est un couple hollando-irlandais qui va à l’Askja pour la journée, nous échangeons nos e-mails avec la promesse d’échanger les photos respectives des voitures… Merci Leon !
Quelques touches mauves en touffes rondes, ce sont des silages aux minuscules fleurs, plantes résistantes au climat. Le désert de pierres gris-marron se teinte progressivement de taches ocre-clair au loin, comme d’une végétation rase, couleur qui devient de plus en plus insistante par endroits dans les creux.
Cette teinte jaune devient de plus en plus présente, par bandes, comme une végétation rase et sèche, finalement n’y tenant plus on s’arrête pour constater qu’il s’agit d’un revêtement minéral : c’est de la pierre ponce.
C’est une pierre extrêmement légère, gonflée de petites bulles de gaz, éjectée par les volcans lors d’une explosion ou des nuées ardentes. Moins dense que l’eau, elle peut flotter à sa surface, soufflée par le vent elle s’accumule dans les creux !
Finalement la pierre ponce recouvre le sol entièrement par zones, on trouve même des orgues basaltiques tordues, solidification régulière de coulées de laves cristallisées en piliers octogonaux, avec un sol de pierres ponces jaunes sur fond de montagnes noires du plus bel effet.
La piste se fraye un chemin à travers un paysage constellé de morceaux de rocs de toutes tailles qui témoignent de la violence des éruptions passées.
Magnifiques massifs en arrière fond saupoudrés de la neige de la veille, comme l’Herdubreid, surnommé « la reine des montagnes » en Islande, une plaine sombre veinée de pierres ponce jaune-ocre, le tout formant un paysage désertique mais coloré à sa manière.
La piste suit de loin le cours de la Jökulsa qui s’écoule depuis son bassin issu du glacier au sud vers son embouchure par les chutes de Dettifoss, vues la veille, jusqu’à la côte nord à Asbyrgi.
Un obstacle original se présente pour la franchir : un pont fermé d’une barrière ? C’est pour éviter que les moutons ne migrent d’une région à l’autre… Ici, le pont de Kreppatunga permet de franchir le cours impétueux de la rivière, en le refermant après passage comme recommandé !
On longe celle-ci plus ou moins pendant quelques kilomètres avec un sommet poudré de blanc en point de mire, le relief n’est plus aussi monotone, les signes de convulsions volcaniques se multiplient : plaques de laves ondulées, laves cordées et ondulées.
Une halte le long de la F903 pour ne pas être privés de désert…Des laves qui ont dû s’épancher de l’un des nombreux volcans qui nous entourent ; sable et rochers, cernés par les massifs montagneux couronnés de neige qui frôlent les nuages, certains frisent les 2000 mètres de hauteur.
C’est l’ Odadahraun qui nous entoure dans ce panorama à 360° (cliquez ici !)
Nouveau carrefour vers Kverkfjöll : Askja n’est plus qu’à 28km ; si je m’en réfère aux heures des photos, nous avons mis plus de 2h pour faire 56km… pauses photos comprises !
Et la moyenne va encore tomber quand on s’arrête à nouveau pour immortaliser quelques sommets saupoudrés, où la neige blanche surligne tous les reliefs en se logeant sur les crêtes de chaque ondulation, spectacle grandiose !
Encore un pont avec barrière, cette fois sur la Jökulsa ,bien modeste ici d’une dizaine de mètres de large et qui coule encaissée dans un canyon de basalte noir avec une petite cascade en amont ; rien à voir avec Dettifoss !
Le refuge de Drekagil
La pierre ponce adoucit toujours les teintes sombres des montagnes en recouvrant complètement la plaine par endroits pour une dernière ligne droite avant Askja.
Façon de parler car la piste serpente entre les blocs de lave et les rochers pas toujours en ligne droite, à se demander s’ils n’étaient payés au mètre lors du tracé ou forcé sur le Brennivin, l’alcool local islandais.
Un mirage ? Un œil exercé distingue soudain au loin des baraquements dans les rochers au pied de la montagne qui barre à présent l’horizon droit devant nous. Magie d’une oasis dans le désert ! Nous sommes enfin arrivés à Drekagil, « la gorge du dragon ».
Quatre chalets en bois peints en vert et rouge, un terrain de camping, surmontés par le drapeau islandais, un bus et quelques 4×4, c’est le refuge de Dreki « le dragon » au cœur de l’Islande, au pied des montagnes saupoudrées, le dernier tronçon de piste est lui aussi blanc de neige.
Nous avons donc mis plus de quatre heures pour parcourir 126 km soit une moyenne de 30 km/h : sans commentaires !
Après avoir contacté le gardien qui nous a indiqué notre chambrette, en principe six couchages dans 3m par 2,50m mais heureusement nous serons « seulement » quatre.
On pose les affaires et casse la croute à 16h dans la grande salle commune du refuge, car on n’a pas fait de ravitaillement depuis le petit déjeuner au départ de Grimstadir. Il y a un coin cuisine, un poêle où réchauffe une marmite d’eau toujours remplie, tel le tonneau des Danaïdes, provenant du torrent à côté : l’eau est potable partout en Islande !
Un petit tour : il y a un bâtiment à côté du refuge avec les toilettes et douches (oui il faut passer dehors…) et au premier étage un dortoir où des dizaines de couchages sont installés ; la « chausserie » habituelle à l’entrée qui demande de l’organisation pour les aller-retours à la voiture, une grande salle commune, et deux petites chambres dont la nôtre.
Expédition Oskjuvatn
Comme la journée n’est pas terminée et que le soleil ne se couche quasiment pas en cette saison sous ces latitudes, nous décidons de poursuivre en voiture vers le lac Oskjuvatn. Il se situe juste derrière les contreforts, c’est le plus vaste d’Islande et le plus profond, ainsi qu’un autre petit lac bleuté et chaud, Viti dit « l’enfer », ce nom vous rappelle quelque chose ?
Il faut dire que les noms de lieux en Islande sont souvent descriptifs, comme Hvita « rivière blanche », Viti « l’enfer », de ce fait on les retrouve souvent à différents endroits dans le pays. Ici, entre dragons et enfer, que des noms attirants…
Toujours dans ce décor sombre de montagnes de basalte noir veinées par la neige qui surligne tous les contours et dépressions sur les flancs, nous prenons la piste qui mène au lac Oskjuvatn avec le Land Rover.
Quelques kilomètres c’est l’affaire de quelques minutes en 4×4 à priori, même si la piste progresse à présent entre deux murs de 1m de neige, elle est bien dégagée. Sauf que plus on avance, plus les murs de neige ont la fâcheuse tendance à augmenter…
C’est un désert de lave et de neige à présent, les écueils de basalte noir émergent hors de la mer de neige blanche qui descend depuis le sommet des montagnes, pour finalement recouvrir l’ensemble du paysage.
Et brusquement plus de piste : il y a un parking dans la neige où se sont arrêtés quelques 4×4. Renseignement pris il faut continuer à pied pour atteindre notre but, 9km à pied aller-retour dans la neige, et il vaut mieux se couvrir nous dit-on, il y a des averses de neige et de grésil par moment.
Pour ceux qui auraient oublié : nous sommes toujours au mois de juillet…
Les marcheurs blancs
On s’équipe donc avec bonnets, capuches et nos 3 ou 4 couches recommandées, bâtons de marche et sacs à dos et en avant en suivant plus ou moins la piste tracée par ceux qui nous ont précédés.
Peu après un petit panneau annonce 4.5 km jusqu’au lac ; la trace monte régulièrement au flanc de la montagne, la piste devient sentier, puis passe par une baisse entre deux hauteurs et bascule vers une immense plaine enneigée à perte de vue.
Pas de lac encore en vue mais un alignement de piquets jaunes à perte de vue qui jalonnent le passage. Le but semble s’éloigner au fur et à mesure de notre avancée tant on manque de repères dans l’immensité blanche, quand on aperçoit des promeneurs qui nous ont précédés immobiles sur une crête ; c’est là !
Encore quelques centaines de mètres, dans la neige, on gravit une dernière côte et le lac est là dans son immensité…
Lac Oskjuvatn
C’est un long ovale de 4km de large pour 11km² de surface, il est profond de 220m, le 2e en taille derrière le lagon glaciaire de Jökulsarlon pour autant qu’on le considère comme un lac…
Il occupe la caldeira centrale du volcan Askja, le « chaudron » après l’effondrement de la chambre magmatique souterraine à la fin de l’éruption de 1875, d’où sa profondeur. Ce qui n’a pas empêché d’autres éruptions, la dernière datant de 1961.
Surprise ! L’étendue d’eau est entièrement prise par les glaces et recouverte de neige, mis à part quelques places sur les bords, le tout bordé par un écrin de montagnes blanches dont les sommets se perdent dans les nuages, superbe tableau en noir et blanc !
Une fois nos yeux et appareils photos rassasiées du spectacle on se tourne vers le Viti, autre petit lac de cratère mais bleuté de 60m de profondeur. Il n’est pas gelé lui et pour cause : sa température est de 22° et il fume même en émettant des bruits dus aux sources qui s’y déversent.
On peut même s’y baigner mais ce jour, pas d’amateurs…
Retour par le même parcours, à travers la plaine immense suivant les piquets, nous ne sommes pas les derniers mais il ne reste plus beaucoup de monde si ce n’est un petit oiseau à la collerette comme un cache-nez, cherchant pitance….
Un coup de soleil illumine un temps les sommets voisins pendant notre cheminement, un mont immense éclairé à l’horizon se perd dans les nuages.
Une fois le col franchi, un plafond bas de nuages sombres s’est abaissé, on croit même y voir des éclairs. La plaine de lave déchiquetée aux fantastiques formes noires et tourmentées est traversée, tant mieux il ne vaut peut-être mieux pas se trouver ici à la nuit…
Retour au refuge, non pas à la nuit noire car il n’y a pas plus de nuit noire l’été que de volets en Islande…
Nous prenons notre repas dans la salle commune avec tous les autres randonneurs rassemblés, ainsi que les petites tâches journalières, copie des photos, plans pour le lendemain.
Des camions 4×4 sont arrivés et des tentes ont été montées dehors devant le chalet ; on ne les envie pas…
Demain nous irons explorer Drekagil, la « gorge du dragon », rouler jusqu’à Kverkflöll, un autre refuge à la bordure du glacier et retour sur Myvatn.